Expertise notariale - Un an d'application de la réforme des contrats. Quel impact sur la pratique notariale ? - 2017-2018 - 1er - 52

52 UN AN D'APPLICATION DE LA RÉFORME DES CONTRATS

d'importantes interrogations40. Aux termes de l'article 1145 alinéa 2 du Code
civil, « la capacité des personnes morales est limitée aux actes utiles à la réalisation de
leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le
respect des règles applicables à chacune d'entre elles »41.
La disposition a déjà fait couler de l'encre et suscité l'émoi des praticiens,
notamment des notaires. Ces derniers, tenus de s'assurer de l'efficacité de
leurs actes, devront-ils dépasser la simple vérification, objective, que l'acte
envisagé à propos duquel ils sont invités à instrumenter, entre dans l'objet social, pour livrer un contrôle de type subjectif et apprécier l'utilité de
l'acte au regard de la réalisation de l'objet social ? Mais le notaire disposerat-il des outils lui permettant de livrer une telle appréciation ? Quelle est, de
surcroît, sa légitimité à porter un tel jugement qui le conduirait, finalement,
à se substituer aux organes de direction pour livrer une appréciation en
opportunité ? La disposition, qui a sûrement vocation à s'appliquer aux
associations42, si elle doit aussi s'appliquer aux sociétés, civiles comme commerciales, pourrait être dangereuse et engendrer une réelle insécurité, le
contractant de la personne morale devant vivre sous la menace d'une
remise en cause de l'acte passé, à l'initiative de la personne morale, sur
un motif fuyant43 ; elle serait tout aussi dangereuse pour le notaire, appelé
à porter un jugement en opportunité sur l'acte en question.
La difficulté est accrue en raison de l'ambiguïté entourant la condition de
capacité, notamment l'exigence d'utilité44. Le précédent de la gestion d'affaires, pour laquelle l'utilité est une condition, n'a rien d'encourageant. En
outre la question peut être posée de l'existence d'une différence substantielle entre le concept d'intérêt social et la condition d'utilité de l'acte à la
réalisation de l'objet social45.
40. S. Bahbouhi, Capacité et représentation de la société contractante, Actes pratiques et ingénierie sociétaire, mai 2016, p 22.
41. M. Mignot, Commentaire article par article de l'ordonnance du 10 février 2016 portant
réforme du droit des contrats, LPA 14 mars 2016.
42. K. Rodriguez, Impact de la réforme du droit des obligations sur le droit des associations,
Rev. sociétés 2017, p. 67 ; pour cet auteur, l'article 1145, alinéa 2 recueillerait sans le dire le
principe de spécialité des personnes morales mais dans un contenu qui aurait sensiblement
évolué.
43. B. Dondero, La réforme du droit des contrats, JCP E, 12 mai 2016, 1283, spéc. nº 49.
44. M. Mekki, Les incidences de la réforme du droit des obligations sur le droit des sociétés : rupture ou continuité, Rev. sociétés 2016, 483, nº 23.
45. On pourrait voir dans la jurisprudence faisant jouer un rôle important à l'intérêt social, apprécié par le juge, nullement tenu par la position, fût-elle unanime, des associés, pour annuler
une sûreté consentie par une société civile sur l'un de ses actifs, une source d'inspiration du
législateur contemporain, qui inviterait à rapprocher la condition d'utilité de l'acte à la réalisation de l'objet et l'intérêt social. V. Cass. com., 8 nov. 2011, nº 10-24438, BJS, avr. 2012, p. 297,
note F.-X. Lucas ; Dr. sociétés 2012, comm. nº 6, note H. Hovasse ; Rev. sociétés 2012, p. 238,
note A. Viandier ; RTD com. 2012, p. 358, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; Cass. com., 23 sept.

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