Doctorat & Notariat - Tome 60 - La fiducie : aspects juridiques et fiscaux - 164

150

LA FIDUCIE : ASPECTS JURIDIQUES ET FISCAUX

L'administration fiscale serait ainsi conduite à asseoir l'impôt d'après la situation
réelle, indépendamment des qualifications juridiques. Cela signifie que le juge fiscal comme il en a l'habitude procéderait à des requalifications fiscales de certaines
opérations juridiques afin d'imposer un contribuable sur la détention ou la jouissance d'un bien appartenant juridiquement à autrui. On rejoint ici les fondamentaux de l'analyse économique ou substantielle de la propriété. C'est notamment
sur ce fondement que l'administration fiscale serait fondée à soumettre à l'impôt
le fruit des activités illicites40. Certains auteurs considèrent que le réalisme a un
caractère purement financier, c'est le réalisme qui justifie la recherche de l'abus de
droit ou encore la règle de l'inopposabilité de la contre-lettre au fisc41.
401. Plus près de nous, Cozian tentera d'en finir avec l'autonomie fiscale42
mais sans cesse arrachée, l'autonomie du droit fiscal repousse comme une mauvaise
herbe43. Les professeurs Bienvenu et Lambert44 sans nier l'existence d'une autonomie du droit fiscal ont tenté d'en délimiter les contours en l'état du droit positif. Ils
distinguent trois situations : la première, la loi fiscale peut renvoyer à des qualifications du droit privé que le juge fiscal appliquera purement et simplement45. Il y a
une connexion parfaite entre analyse juridique et analyse fiscale de l'opération. La
seconde, la loi fiscale procède à la création d'une notion purement fiscale. Dans
cette deuxième hypothèse, l'analyse juridique n'apporte pas les solutions aux proconditions où elle s'y trouve, qui la saisit telle qu'elle apparaît en fait, sans se préoccuper de savoir ce
qu'elle vaut en droit. La loi fiscale frappe donc des états de fait et non des situations de droit et dans ses
états de fait, elle fait un départ entre ce qui tombe sous le coup de l'impôt et ce qui pourra lui échapper ».
40. Le réalisme fiscal : R. Gouyet, L'illicite et le droit fiscal, Thèse dactylographiée, Dijon, 1998,
spéc. n° 30 et s. ; G. Vignaud, L'abus de droit en matière fiscale, Thèse dactylographiée, Bordeaux I,
1990, p. 26.
41. C. David, O. Fouquet, M.-A. Latournerie, B. Plagnet, Les grands arrêts de la jurisprudence
fiscale, 5e éd., Dalloz, 2009, p. 112 ; v. F. Deboissy, th. préc., n° 1025.
42. Les opposants à l'autonomie du droit fiscal : M.  Cozian, « Propos désobligeants sur une
« tarte à la crème » : l'autonomie et le réalisme du droit fiscal », Dr. fisc. 1980, n° 41, p. 1054 - publié
égal. : JCP C I, II, 13394, 1980 et JCP G, 1981, I, 3005 - paru égal. : Les grands principes de la fiscalité
des entreprises, doc. 1, « Propos désobligeants sur une « tarte à la crème » : l'autonomie et le réalisme du
droit fiscal », Litec, 4e éd., 1999, p. 1 et s. : « Le jour où les juristes auront la curiosité de mieux suivre la
fiscalité et où les fiscalistes auront la même curiosité, à l'égard du droit, on s'apercevra que le droit fiscal est
moins particulariste, moins autonome, moins réaliste qu'on le prétend ». V. aussi, J. Schmidt, Les principes
fondamentaux du droit fiscal, Dalloz, 1992, p. 63 et s. V. également : J. Arrighi de Casanova, « Droit de
propriété et taxes foncières : les limites de l'autonomie du droit fiscal ? », LPA, n° 115 du 23 septembre
1992, p.  7 ; Ph.  Durand, « Autonomie et contradictions du droit fiscal », Rev.  adm.  1994, n°  279,
p. 252 et s. ; P. Serlooten, Droit fiscal des affaires, op. cit. : tout en concédant au droit fiscal un certain
particularisme, le professeur Serlooten observe que «...l'autonomie du droit fiscal se ramène à peu de
chose » ; G. Goulard, « Que reste-t-il de l'autonomie du droit fiscal ? », RJF 1995, n° 5, p. 322.
43. P.  Amselek, « Les mécanismes régulateurs de la pratique en droit fiscal français », Dr.
fisc. 1983, n° 40, p. 1176 ; J.-P. Lukaszewicz, Nouveaux aperçus sur l'autonomie du droit fiscal, Thèse
dactylographiée, Amiens, 1973 ; Ph. Marchessou, L'interprétation des textes fiscaux, Avant-propos de
Maurice Cozian et préface P. Amselek, Economica, 1980, p. 213-223 ; G. Schmeltz, La jurisprudence
fiscale de la juridiction administrative, Dalloz, 1978, p.  43 à  52. En sens inverse : J.-P.  Maublanc,
L'interprétation de la loi fiscale par le juge de l'impôt, Thèse dactylographiée, Bordeaux  I, 1984.
- J. Pujol, L'application du droit privé en matière fiscale - Recherches sur la véritable place du droit
privé dans le système fiscal français, Thèse dactylographiée, Paris  I, 1984. V.  également l'analyse
autorisée et nuancée de L. Mehl et P. Beltrame, Science et technique fiscales, PUF, 1984, p. 644 et s.
44. J.-J. Bienvenu et Th. Lambert, Droit fiscal, 4e éd., PUF, 2010, n° 69 : « le droit fiscal obéit à
une singulière loi d'économie de moyens par laquelle il réintègre un nombre considérable de règles
appartenant aux autres branches du droit en les déformant dans la stricte mesure des nécessités de la
réalisation des objectifs de la loi fiscale ».
45. CE, 15 oct. 1975, n° 95096, Dr. fisc. 1976. 98, concl. Fabre ; CE, 5 nov. 1980, RJF 1981 1/11.
Doctorat & Notariat - Tome 60 - La fiducie : aspects juridiques et fiscaux

Table des matières de la publication Doctorat & Notariat - Tome 60 - La fiducie : aspects juridiques et fiscaux
