Doctorat & Notariat - Tome 60 - La fiducie : aspects juridiques et fiscaux - 267

LA FIDUCIE : UNE ATTEINTE ABSOLUE AUX PRINCIPES D'UNITÉ ET D'UNICITÉ

253

préoccuper de l'affectation réelle des biens. Ce critère dégagé en matière d'immeuble
s'est vite étendu aux valeurs mobilières141, aux brevets142 et aux créances143.
691. L'affectation ou non d'un bien au bilan de l'entreprise constitue une
décision de gestion qui ne saurait être critiquée ni sur le fondement de l'abus de
droit ni de l'acte anormal de gestion comme en atteste l'arrêt Le Forestier de Quillien. En l'espèce, le Conseil d'État avait jugé qu'un électricien avait pu à bon droit
inscrire à son bilan un navire destiné à l'exploration pétrolière et déduire les
charges afférentes à l'armement de celui-ci de son résultat par application du
principe de liberté d'affectation comptable144. Il a toujours suscité des incertitudes
quant à son application145. Cozian l'a qualifié de « principe de pagaille » tant il a
permis « d'autoriser des choix cocasses, contraires à la nature des choses »146.
692. La question s'est alors posée de savoir si n'importe quel bien corporel
ou incorporel pouvait être inscrit au bilan de son entreprise. Le Conseil d'État a
répondu par l'affirmative dans l'arrêt du 17 mars 1976. Le commissaire du Gouvernement Lobry dans ses conclusions a justifié cette solution par le fait qu'un
bien apporté à l'actif même non nécessaire à l'activité vient « renforcer le crédit de
celle-ci auprès des tiers »147.
693. En sens inverse, l'entrepreneur individuel peut-il ne pas inscrire à son
bilan un bien corporel ou incorporel nécessaire au fonctionnement de son entreprise ? La réponse fut pendant longtemps incertaine. L'arrêt du 10 juin 1970 qui
affirmait que le fonds de commerce est « par nature un des éléments de l'actif
immobilisé de la société » qui en tire les mêmes conclusions s'agissant du fonds de
commerce148. Il existerait alors « des îlots de biens spécifiquement liés à l'exploitation [...] en revanche doivent figurer à l'actif les éléments qui sont l'objet et comme
la substance même de l'entreprise (le fonds de commerce, la carrière exploitée) »149.
Toutefois une question demeure quels sont les biens nécessaires à l'exploitation.
L'administration fiscale considère que « les biens nécessaires à l'exploitation sont
ceux qui, ayant un lien de causalité directe suffisant avec l'exploitation, sont effectivement utilisés pour les besoins de l'activité professionnelle »150. Il en a été jugé ainsi
pour le fonds de commerce, mais également le droit au bail, les droits de propriété
industrielle, voire les licences de débit de boissons de 4e catégorie151.
141. CE, 15 mars 1968, Dupont 6/68, p. 254.
142. CE, 20 octobre 1971, Dupont 12/71, p. 416 ; CE, 15 mars 1972, Dupont 6/72, p. 224.
143. CE, 17 mars 1976, RJF 5/76, p. 167, concl. Lobry, Dr. fisc. 29/76, p. 722.
144. CE, 8  septembre 1999, M.  Le Forestier de Quillien, Dr. fisc.  2000. 73, concl.  Arrighi de
Casanova ; M. Cozian, « Le navire de l'électricien : un électricien peut-il inscrire un navire à l'actif du
bilan de son entreprise ? », LPA 2000, n° 54, p. 4 ; F. Deboissy, « Un industriel a régulièrement pu
inscrire à l'actif immobilisé de son entreprise individuelle un navire dont il comptait faire un élément
d'exploitation », JCP E. 376 : « Considérant que, lorsqu'une entreprise est exploitée par une personne
physique, celle-ci a la faculté de comprendre dans les valeurs d'actif du bilan de l'entreprise tout bien
provenant de son patrimoine privé alors même que ce bien ne concourrait pas l'exploitation ».
145. F.  Deboissy, « Le principe de liberté d'affectation comptable », RTD  com.  2001. 994 ;
J. Le Calvez, « Les incertains contours du patrimoine de l'entrepreneur individuel », D. 2000. 151.
146. M. Cozian, F. Deboissy et M. Chadefaux, Précis de fiscalité des entreprises, op. cit., p. 611.
147. CE, 17 mars 1976, préc.
148. CE, 10  juin 1970, Dupont  11/70, p.  380, concl.  Delmas Marsalet, Dr. fisc.  8/71, p.  9 :
« Hormis le cas particulier du bien corporel ou incorporel né de l'activité même de l'entreprise, le seul
critère de rattachement à l'actif commercial est celui de la liberté d'inscription au bilan ».
149. CE, 25  juillet  1975, préc. ; V.  égal. Poussière, « L'actif commercial dans les entreprises
individuelles », BF Lefebvre 6/74, spéc. p. 494 et 495.
150. ENR-XII-1000 s.
151. CE, 28 décembre 2007, n° 271895.
Doctorat & Notariat - Tome 60 - La fiducie : aspects juridiques et fiscaux

Table des matières de la publication Doctorat & Notariat - Tome 60 - La fiducie : aspects juridiques et fiscaux
