Doctorat & Notariat - Tome 57 - La notion de fruits : étude de droit privé - 199

LES INSUFFISANCES DE LA NOTION DE FRUITS

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perçoivent en argent123 ». Si cette qualification semble cohérente avec celle des loyers
des maisons, elle n'est pas sans poser de problèmes124. En effet, on se représente les
fruits civils comme étant par essence monétaires mais cela n'est pas toujours vrai et
notamment dans le cadre des baux à ferme. Un certain nombre de ces baux voient
le paiement du prix effectué non pas grâce à une somme d'argent mais par une
quantité fruits prise sur la récolte comme dans le bail à complant125 et le métayage126.
Dans ce type de situation, certains auteurs127 se sont demandé si le prix de ces baux
à ferme entrait toujours dans la catégorie des fruits civils ou s'ils constituaient des
fruits par nature. Ces deux formes de baux à colonage voient donc un paiement du
prix en nature ce qui devrait nous conduire à les exclure du champ des fruits civils :
le colon ne paie pas un prix mais opère un partage des fruits naturels ou industriels
avec le propriétaire du fonds128. Le propriétaire du fonds est alors ipso facto propriétaire des fruits qui ne peuvent être considérés comme des fruits civils mais des fruits
industriels. Pour les sommes qui viendraient en sus de la part de récolte, comme le
prévoient un certain nombre de conventions de colonage partiaire, la qualification
de fruits civils sera applicable.
282. Si la qualification de fruits naturels ou industriels ne change pas la
donne en termes de règles s'appliquant à l'appropriation, retenir celle de fruits
civils va impliquer la mise en œuvre de règles d'appropriation totalement différentes. C'est pour cela que la généralité de la formulation de l'article 584 du Code
civil est problématique car là où la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de distinguer. Lorsque l'article énonce que le prix des baux à ferme rentre dans la catégorie des fruits civils, cela implique que tous sont concernés. On ne peut pas opérer
une distinction entre les prix de baux à ferme qui représentent une partie de la
récolte et ceux qui sont une créance de somme d'argent129. On aboutit alors
123. PERRUCHOT-TRIBOULET (V.), op. cit., p. 48.
124. Toutefois, elle en résout un certain nombre. E. Aubert souligne que même si les loyers des
baux à ferme étaient classés dans les catégories des fruits civils, ils ne se voyaient pas soumis à leur
traitement juridique. Il en résultait une obligation de ventilation afin de déterminer quelles portions
devaient être réparties entre les différents protagonistes.
125. Le bail à complant est un bail qui s'applique aux vignobles prévu aux articles L. 441-1 et
suivants du Code rural et de la pêche maritime ainsi qu'aux usages locaux. Le bail à complant n'est
pas soumis aux règles du fermage même si la loi n°88-1202 du 30 décembre 1988 a rapproché le régime
de ce statut de celui du fermage. Le bail à complant se distingue surtout par la division de la propriété
dans l'espace qu'il met en place : la propriété du sol reste entre les mains du bailleur quand la propriété
des vignes, elles, est dans celles du preneur ou complanteur. Ce bail est donc constitutif d'un droit réel
qui peut être cédé. Le complanteur a pour obligation de planter la vigne et de verser au propriétaire
une part de récolte en vertu de l'article L. 441-4 du Code rural et de la pêche maritime.
126. Pour rappel, l'article L. 417-1 du Code rural et de la pêche maritime le définit comme « le
contrat par lequel un bien rural est donné à bail à un preneur qui s'engage à le cultiver sous la condition
d'en partager les produits avec le bailleur ». La troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle
que pour qualifier un bail de métayage, il faut que deux conditions soient réunies ; il doit être constaté
d'une part la direction de l'exploitation directe et effective par le seul preneur et d'autre part un
partage des produits avec participation aux charges (Cass. 3e civ., 16 déc. 1992, n° 91-10.921).
127. Notamment Planiol (M.), Aubert (E.), Croizat (C.) ou encore Perruchot-Triboulet (V.).
128. Ce partage des fruits s'effectue en nature. L'article L. 417-3 du Code rural et de la pêche
maritime dispose que la part du bailleur ne peut être supérieure au tiers de l'ensemble des produits
(C'est ce qu'on désigne sous le terme de tiercement. Celui-ci joue tant pour les produits que pour les
charges d'exploitation). Si le principe est d'un paiement en nature, il peut néanmoins consister en une
répartition des recettes après la vente des produits et donc être en « argent ».
129. Il convient tout de même d'évoquer ici les dispositions de l'article 1770 du Code civil qui
permet une modulation du loyer en fonction de la récolte. Mais cette exception n'est retenue qu'à
condition que le bail ait une durée inférieure à une année et que la perte soit au minimum égale à la
moitié de la récolte.

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