Doctorat & Notariat - Tome 61 - Les libéralités à caractère collectif - 394

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LES LIBÉRALITÉS À CARACTÈRE COLLECTIF

1. Le régime de révision extraordinaire du juge judiciaire
406. Une adaptation sans imprévision. La pratique judiciaire dont il est question a été révélée à l'occasion d'une affaire soumise à la juridiction du Conseil
d'État. Elle concernait la Fondation de France, alors désignée comme légataire
universelle à charge de créer et gérer un refuge pour animaux abandonnés245. Afin
d'assurer le respect de ses dernières volontés, la testatrice avait fait interdiction à
la légataire de vendre les biens légués. Face à la difficulté qu'imposait le respect
exact des intentions du bienfaiteur, le conseil d'administration de la Fondation de
France a subordonné l'acceptation de la libéralité à la levée par le juge judiciaire
de cette clause d'inaliénabilité. L'autorité administrative, jouant son rôle d'autorité de tutelle sous l'empire de la loi ancienne, autorise l'acceptation de la libéralité et rappelle, au sein du décret d'autorisation, l'intention de la légataire de faire
annuler, sur le fondement du Code civil, la clause d'inaliénabilité. Saisi par l'héritière du disposant, le Conseil d'État, dans une décision du 8  décembre 2000,
valida le procédé246. Implicitement, il a reconnu que le juge judiciaire peut autoriser
la mainlevée d'une clause d'inaliénabilité en dehors de toute imprévision. Or, une
telle procédure est normalement réservée aux libéralités adressées aux personnes
physiques247. En d'autres termes, le juge judiciaire pourrait modifier les charges
grevant la libéralité en dehors de tout changement de circonstances rendant l'exécution de celle-ci extrêmement difficile ou sérieusement dommageable.
Bien que la Cour de cassation ne semble jamais s'être prononcée sur cette
question, le juge judiciaire n'est pas en reste. À titre d'illustration, un jugement du
Tribunal de grande instance de Paris, en date du 12 février 2004, a admis la révision de charges dont l'exécution était impossible ab initio248. En l'espèce, la Fondation de France était désignée comme légataire universelle à charge pour elle de
créer une fondation dont le siège devait être un immeuble dépendant de la succession. Cette fondation devait avoir pour objet l'accueil des personnes âgées. Faute
de pouvoir réaliser l'affectation pour des raisons techniques, matérielles, juridiques, administratives et financières249, la légataire assigna les héritiers afin de
voir autoriser : d'une part, la vente de l'immeuble sur le fondement de
l'article  900-1 du Code civil tenant à l'existence d'un intérêt supérieur, d'autre
245. Cette décision a été critiquée sur le terrain du principe de spécialité (V. supra, n° 308). Si le
Conseil d'État considère que les statuts de la Fondation de France ne sont pas incompatibles avec cette
charge, en sa qualité d'organisme relais, la Fondation de France ne saurait être chargée de se comporter
comme un groupement opérateur.
246. CE, 8 décembre 2000, n° 205000, JCP G 2001, II 10616, concl. C. Maugüe.
247. Cette procédure est prévue par l'article  900-1, alinéa  1er du Code civil qui ne vise que les
personnes physiques (V. supra, n° 395). Bien que le Conseil d'État se place sur le terrain dudit article 900-1,
le commissaire au gouvernement précise que, même à admettre que la référence à ce fondement soit
erronée, cela est sans incidence sur la légalité de la décision (V. C. Maugüe, concl. ss CE, 8 décembre 2000,
JCP G 2001, II 10616). Ce sont donc bien les articles 900-2 et suivants du Code civil qui étaient visés.
248. TGI  Paris, 12  février 2004 (RG  n°  02/03932). Déjà en ce sens, V.  CA Aix-en-Provence,
9 avril 1993, juris-data, n° 1993-04531. Dans cette affaire, la Société protectrice des animaux avait été
désignée légataire universelle à charge de créer un refuge pour animaux sur un terrain dépendant de la
succession. Une clause d'inaliénabilité était stipulée. Or, le projet ne pouvait se faire en raison du
classement du terrain en zone classée.
249. La Cour de cassation a déjà retenu que l'entrée en vigueur d'une nouvelle norme constitue
un changement de circonstances pouvant donner lieu à une révision des charges, V. 1re civ., 7 mars
2000, n° 97-20.038, Bull. civ. I, n° 84 ; RTD civ. 2001, p. 413, obs. J. Patarin. Dans le même sens, à
propos d'une interdiction administrative, V.  1re civ., 6  avril 1994, n°  92-12.844, Bull.  civ.  I, n°  140 ;
JCP G 1995, II 22387, note Ph. Brun.
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