Doctorat & Notariat - Tome 63 - Étude comparative du rôle du juge dans l'interprétation des contrats - 481

L'INTÉRÊT DE LA DÉTERMINATION POUR LE CONTRÔLE DE L'INTERPRÉTATION

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principe du contrôle de la dénaturation35 offre au juge du droit, la possibilité de
retrouver un rôle central dans l'interprétation des contrats, les juges du fond
devant toujours mettre la haute juridiction en mesure d'effectuer son contrôle.
Mais la mise en œuvre de ce contrôle révèle immédiatement ses limites, car le juge
ne peut exercer son contrôle que sur ce qui est clair, ce qui nécessite de définir, au
cas par cas, ce qui est clair de ce qui est obscur. S'il est certain que ce contrôle
renforce le rôle du juge, il n'opère qu'en marge de l'interprétation entendue au
sens subjectif, toute ambiguïté laissant aux juges du fond l'entière liberté de dire
ce que les parties ont voulu. Il convient donc d'envisager, afin de déterminer le
rôle du juge, la part de certitude (α) et d'ambivalence (β) autour de ce contrôle
français de la dénaturation.
α) L'apparente clarté du contrôle
755. C'est après plus d'un demi-siècle de pouvoir absolu des juges du fond
en la matière36 que la Cour de cassation s'est reconnu le droit de contrôler la dénaturation du contrat. En effet, par l'arrêt de la chambre civile du 15 avril 187237, la
Cour a décidé qu'« il n'est pas permis aux juges, lorsque les termes d'une convention sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu'elle renferme »38. Cet arrêt de principe est rendu au visa de
l'article 1134 du Code civil, ce qui signifie que le juge du fond, en interprétant une
disposition claire, porte atteinte à la force obligatoire du contrat, puisqu'il en
modifie la lettre et donc la volonté des parties39. À partir de cet arrêt, la Haute
juridiction semble retrouver son rôle naturel de gardienne de l'unité du droit, en
limitant les dérives possibles du pouvoir étendu des juges du fond dans l'interpré35. Sur ce contrôle : C. Marraud, La notion de dénaturation en droit privé français, thèse Nancy,
1974 ; J. Boré, « Un centenaire, le contrôle par la Cour de cassation de la dénaturation des actes »,
RTDCiv. 1972, p. 251 ; J. Voulet, « Le grief de dénaturation devant la Cour de cassation », JCP éd. G.
1971, I, 2410 ; Ph. Simler, Jurisclasseur Civil, Art. 1156 à 1164, Fasc. 20, nos 58 et s. ; Rép. proc. civile
Dalloz, v° Pourvoi en cassation, nos 544 et s. ; J. et L. Boré, op. cit. n° 62.122 et nos 79.01 et s. ; B. Fages
(dir.), Lamy Droit du contrat, v° L'interprétation du contrat par M. H. Maleville, 03/2002, nos 331.41 et s.
36. V. supra l'arrêt Lubert du 2 fév. 1808 par lequel la Cour de cassation se refuse à tout contrôle
de l'interprétation.
37. V. déjà comme prémice à l'arrêt de 1872 : Cass. civ. 1868, S. 1868, 1, p. 100 ; D. 1868, 1, p. 22 :
A propos d'un acte unilatéral, la Cour affirme que « si l'interprétation d'un testament appartient
exclusivement aux juges du fait, leur pouvoir ne va pas jusqu'à leur donner le droit de changer et de
refaire le testament et de supprimer une clause claire et précise pour la remplacer par une autre
produisant des effets légaux différents ».
38. Cass. civ. 15 avril 1872, Vve Foucauld et Coulombe c. Pringault, DP 72, 1, p. 176 ; S. 72, 1, 232,
GAJCiv. t. 2, 11e éd., Dalloz, 2000, n° 160, p. 111 et s. En l'espèce, une société avait affiché dans son
usine un avis promettant le paiement d'une prime de travail aux ouvriers, mais ajoutant que celle-ci
serait facultative. Le conseil de prud'hommes, malgré cette réserve, avait condamné la société à payer
la prime à un ouvrier qui avait effectué son travail dans les conditions déterminées. Un pourvoi fut
formé et la Cour casse la décision pour dénaturation caractérisée en ces termes : « cette clause, par
laquelle ladite société stipule qu'elle ne pourra être contrainte au payement de la prime, est formelle et
opposable dans tous les cas aux ouvriers de l'usine ». La notion de dénaturation fut par la suite
précisée : Req. 22 juil. 1872, DP 1873, 1, p. 111 : le contrôle s'effectue « lorsque les tribunaux, au lieu
d'interpréter des actes obscurs, ont dénaturé ou altéré des actes exprès et positifs ».
39. Par ailleurs, l'article 1134 du Code civil permet au juge du droit de demeurer dans le domaine
du droit.  Ainsi que le relève M. Boré (Un centenaire...préc.  nos 27, 28 et  29). Certes, le contrôle
s'effectue parce que le juge a dénaturé l'acte clair et précis, mais surtout parce que, ce faisant, il a violé
une règle impérative : l'article  1134 du code civil. V. contra, E. Faye, La Cour de cassation,
1re éd. Chevalier-Marescq 1903, rééd. Duchemin, 1970, nos 172 à 174 considérant que le contrôle de la
dénaturation est une incursion dans le domaine du fait et ne correspond pas au rôle de la haute
juridiction. V. également infra n° 761 et s.
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