Doctorat & Notariat - Tome 64 - L'ordre public et le droit patrimonial de la famille - 114

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L'ORDRE PUBLIC ET LE DROIT PATRIMONIAL DE LA FAMILLE

1.	 La mutabilité automatique : une atteinte indirecte à l'immutabilité
89. Mutabilité automatique - Si l'article  7 de la convention de La Haye
consacre, en son premier alinéa, un principe de permanence de la loi applicable au
régime matrimonial, il y apporte aussitôt une importante dérogation en énonçant,
en son second alinéa, que la loi de l'État où les deux époux « ont tous deux leur
résidence habituelle devient applicable, aux lieu et place de celle à laquelle leur
régime matrimonial était antérieurement soumis ». Ce texte consacre ainsi une
mutabilité automatique du régime matrimonial en faveur de la loi de la résidence
habituelle des époux. Ces hypothèses de changement automatique de rattachement supposent une absence de choix initial des époux puisqu'elles ne s'appliquent
qu'aux époux mariés après le 1er septembre 1992 qui n'ont pas désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, ni fait de contrat de mariage. Par ailleurs, l'article 7 énumère trois cas dans lesquels la loi de la résidence habituelle commune se
substitue à celle qui était initialement applicable : à partir du moment où les
époux fixent leur résidence habituelle dans l'État de leur nationalité, à partir du
moment où lorsqu'après le mariage cette résidence habituelle a duré plus de dix
ans, ou encore à partir du moment où ils fixent leur résidence habituelle commune
dans un pays alors qu'ils étaient soumis jusque-là à la loi de leur nationalité commune. Si parmi ces trois hypothèses la première est de bon sens sitôt qu'il y a une
corrélation évidente pour les époux entre l'État de leur résidence habituelle et
celui de leur nationalité40, les deux autres sont susceptibles de créer bien des difficultés en pratique41.
90.  Vives critiques - La vocation profonde, et historique, de l'article 7 était
de permettre une adaptation du régime matrimonial des époux à leur nouveau
cadre de vie. Ceci devait également encourager les pays de Common law à ratifier la convention42. Pourtant, les cas de mutabilité automatique ont très tôt
cristallisé les critiques de la doctrine et de la pratique. Souvent ignorés des
époux, ces changements peuvent créer de désagréables surprises quand vient
l'heure pour eux de liquider leur régime matrimonial. Qualifiés par un auteur de
« bombes à retardement »43, les cas de mutabilité automatique obligent en effet
40. Encore que l'hypothèse ne soit pas exempte de quelques difficultés illustrées en jurisprudence :
Cass. 1re civ., 12 avril 2012, n° 10-27.016 : Rev. crit. DIP 2012, p. 864, obs. C. Kleiner ; JCP G 2012,
act. 537, obs. A. Devers ; JCP N 2012, n° 47, 1376, obs. G. Wiederkehr ; Defrénois 2014, p. 1150,
obs. M. Revillard.
41. Cass. 1re civ., 12 fév. 2014, n° 12-29.297 : JCP N 2014, n° 27, 1241, obs. D. Boulanger ; Dr.
fam.  2014, comm.  70, obs.  M.  Farge ; Defrénois  2014, p.  632, obs.  P. Callé ; RJPF  2014-5, p.  26,
obs.  S. Godechot-Patris - Cass.  1re civ., 14  mai 2014, n°  12-29.922 : Defrénois  2014, p.  1319,
obs. P. Callé. Pour une étude d'ensemble de ces difficultés : F. Monéger, « Premières jurisprudences
sur la Convention de La Haye en matière de régimes matrimoniaux », JCP N 2014, n° 40, 1294.
42. Comme l'écrivait Georges A.-L. Droz, pour avoir travaillé de près à l'élaboration de la
convention, les rédacteurs de la convention ont voulu « faire coïncider la situation juridique des époux
à la réalité du moment, assurer le principe de proximité et faire un geste en faveur des systèmes de
Common Law qui admettaient largement la mutabilité automatique de la loi applicable »
(G. A.-L. Droz, « Les nouvelles règles de conflit française en matière de régime matrimoniaux »,
Rev. crit. DIP 1992, spéc. p. 665). Or, comme a pu le faire remarquer M. Jacques Foyer, « on mesure
l'étrange marchandage des négociations internationales : on concède aux Américains la mutabilité
automatique pour qu'ils ratifient la convention, mais comme ils ont refusé de ratifier la convention,
les pays européens se retrouvent devant cette nouveauté incongrue dont ils ne savent que faire »
(J. Foyer, op. cit., spéc. p. 282).
43. R. Crône, « Le changement automatique de la loi applicable au régime matrimonial : une
bombe à retardement », Defrénois 2001, p. 1026.

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