Doctorat & Notariat - Tome 65 - Les combinaisons de droits réels - 53

Indivision en nue-propriété

37

comme les magistrats de la cour d'appel préalablement, ne donnèrent pas suite à
cette demande au motif que le père bénéficiait d'un usufruit universel car légataire, par effet du testament, de la plus forte quotité disponible entre époux.
Il était, conséquemment, le seul à pouvoir jouir des biens composant la
s-uccession et donc libre d'en faire bénéficier sa fille à titre gracieux ou en lui
concédant un bail, un droit d'usage et d'habitation, voire même un usufruit. Cette
dernière, certes nu-propriétaire, occupait privativement le bien au titre de l'usufruit universel de son père et ne pouvait ainsi se trouver en indivision quant à la
jouissance avec sa sœur. Seule une indivision en nue-propriété existait entre elles,
ce qui ne permettait pas le versement d'une indemnité en raison de l'occupation
privative du bien64. La question préalable de savoir si l'usufruit du conjoint
-survivant lui offrait une jouissance universelle ou partiaire était donc d'une
importance cruciale sur le sort de l'indemnité. Une telle question nécessite par
conséquent d'analyser, à chaque fois, l'intention libérale du de cujus pour savoir
s'il s'était préalablement déterminé pour l'une des options prévues à l'article 1094-1 ou s'il avait laissé ce choix au conjoint gratifié65.
Les difficultés à distinguer entre les démembrements exclusifs et concurrents
peuvent également procéder de la délicate interprétation de la volonté d'un testateur lorsqu'il lègue un droit réel de jouissance sur un bien faisant l'objet d'une
indivision préexistante à la succession. Une illustration nous en est ici donnée par
un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu en 200666 qui
traitait du cas de deux frères ayant acquis, en indivision, la propriété d'un terrain
sur lequel ils avaient fait bâtir deux immeubles d'habitation. Suite au décès de l'un
d'entre eux, son frère devint, par testament olographe, légataire de la nue-propriété des biens indivis tandis que son épouse en obtint l'usufruit. Le frère survivant demanda alors le partage de l'usufruit des biens indivis. La cour d'appel fit
droit à sa demande après avoir considéré que le legs d'usufruit ne pouvait qu'être
limité aux quotes-parts léguées.
Le droit réel de jouissance étant partiaire il existait donc, selon les juges du
fond, une indivision en jouissance justifiant le partage entre l'usufruit de l'exépouse et la quote-part en pleine propriété du frère. L'analyse se tenait car, d'un
point de vue purement structurel, il paraît normal que le testateur ne puisse disposer de plus de droits qu'il n'en possède et soit, par conséquent, contraint de
grever un bien indivis à hauteur de sa part dans l'indivision conformément à l'article  1021 du Code civil. Un tel raisonnement faisait toutefois l'impasse sur la
possibilité de contrevenir conventionnellement à l'article 102167 et sur la nature de
l'indivision qui n'est pas limitée dans l'espace : l'indivisaire exerce son droit sur la
64. Cf. ANNEXE I.
65. Excluant par là même la transmissibilité du droit d'option. Cass.  1re civ., 1er  juillet  2009,
n° 08-16.851, Bull. civ. I, n° 848.
66. Cass. 1re civ., 28 mars 2006, n° 04-10.596, Bull. civ., I, 2006, n° 181, p. 161, obs. C. FARGE,
Defrénois, 2006, n° 20, p. 1586 ; H. PERINET-MARQUET, Chron., JCP G., 2006, n° 41, p. 18891895 ; C. LAREE, « Legs d'un droit de propriété indivis : qu'a voulu le testateur ? », RLDC, 2006,
n° 29, p. 58, n° 340-37.
67. N'étant pas d'ordre public, l'article 1021 du Code civil prévoyant la nullité du legs de la chose
d'autrui peut être écarté par les parties. L'acceptation du legs de la nue-propriété pouvait ainsi être
considérée comme un acquiescement par le frère du défunt à la charge représentée par l'usufruit
exclusif. La question de l'opposabilité du legs d'un usufruit exclusif en cas de refus du legs de la nuepropriété par l'indivisaire légataire se pose néanmoins. Par analogie avec le cas de la vente d'un bien
indivis sans l'accord des autres indivisaires, il semble qu'un tel legs ne puisse être opposable aux autres

978-2-85623-474-7__DOCFILE__978-2-85623-474-7.indd 37

27/11/2020 17:28:56
Doctorat & Notariat - Tome 65 - Les combinaisons de droits réels

Table des matières de la publication Doctorat & Notariat - Tome 65 - Les combinaisons de droits réels
