Guide pratique - L'honoraire de l'avocat - 1re - 20

L'HONORAIRE DE L'AVOCAT

comme s'il s'agissait d'un violon d'Ingres. D'aucuns le regrettèrent alors. Beaucoup
en tout cas tardèrent à en tirer les conséquences dans leur pratique. Face au
dilemme entre le renoncement au désintéressement (vocable peut-être mal interprété par nos auteurs en maintes occasions) et la nécessaire défense de l'indépendance de l'avocat, certains errements purent être constatés. Ainsi, le barreau
français du XIXe siècle, trop facilement affranchi de toute préoccupation d'ordre matériel, préparait mal celui du XXe siècle à son environnement socio-économique.
Il emprisonnait son périmètre d'activité dans des limites artificielles qu'il s'imposait
comme une autoflagellation inexplicable (interdiction de plaider devant les juges de
paix, devant les tribunaux de commerce, devant les conseils de prud'hommes, dissociation subite du conseil et de la défense, mise au ban de l'agent d'affaires, etc.).
Le barreau se figea aussi dans l'interprétation de la notion de désintéressement en
la focalisant sur la question de l'honoraire. Il en fut de même de la modération.
Le désintéressement pourrait bien devoir d'abord s'entendre de l'interdiction d'avoir
des intérêts dans la cause défendue, ou en lien avec la consultation ou la construction juridique abordées. Il s'agit d'abord d'indépendance. De même la modération
renvoie plus certainement au savoir-vivre et à un comportement socioculturel dans
les relations humaines qu'à la triviale facturation de la prestation juridique. Mais il
est vrai que les différents principes de notre déontologie sont connectés entre eux.
Cela ne doit pas nous empêcher d'examiner la question spécifique de l'honoraire.
Il suffit de se référer à nos archives pour constater qu'avant la Grande Guerre nos
institutions ordinales n'eurent guère en apparence à se préoccuper de questions
d'ordre pécuniaire. Ce n'était pas le cas de toutes les professions juridiques. Pour
rester dans le domaine judiciaire, il est notable que les registres de délibération des
compagnies d'avoués faisaient de leur côté une large place à l'argent et aux
comptes, alors même que le tarif applicable à ces officiers ministériels aurait dû
les en dispenser. Cette différence, contrairement à notre légende dorée, ne tient
pas au fait que l'avocat ne pouvait pas poursuivre le recouvrement de ce que lui
était dû par son client. Il est certain que les dossiers de taxations d'honoraires
avaient subi le pilon. De même que les dossiers personnels des confrères, les procédures de taxe n'avaient pas été jugées dignes d'être conservées. Les registres de
délibérations des mêmes ordres n'en faisaient pas mention, signe que ce traitement
n'apparaissait pas comme primordial mais simplement secondaire.
Le déficit général d'archives sur ce thème n'est pas probant pour exclure une pratique dont nous démontrerons la stabilité malgré une prétendue éclipse de plus de
deux cents ans. De même que nous avons souscrit à l'expression d'Ugo Bellagamba
selon laquelle « les années 1790-1810 sont pour le barreau celles d'une véritable
métempsycose sociale, judiciaire et politique ; il est une des rares institutions à pouvoir s'enorgueillir de représenter le sens profond de la Révolution française : cet
équilibre fragile entre rupture et continuité »2, nous ne croyons pas une seconde à
une naissance sui generis en 1957 de la procédure de taxe des honoraires. Paradoxalement, si l'on se réfère à de nombreux auteurs, l'interdiction de demander et
de poursuivre le paiement des honoraires procéderait d'une tradition du barreau
2. U. BELLAGAMBA, Les avocats à Marseille : praticien du droit et acteurs politiques, PUAM, Aix-en-Provence, 2001.

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