Guide pratique - L'honoraire de l'avocat - 1re - 39

HISTOIRE REVISITÉE DU DROIT DE L'HONORAIRE

qu'entre 1812 et 1863, « l'interdiction du recouvrement judiciaire de l'honoraire
paraît avoir été quasi unanimement respectée ». Mais Lucien Karpik pense avec justesse qu'à la fin du XIXe siècle « l'unité du dispositif du désintéressement et l'adhésion
dont il a jusqu'alors bénéficié deviennent plus problématiques. Les désaccords entre
les règles et la réalité se multiplient : l'interdiction de la demande d'honoraires
est tournée par la généralisation des provisions ». Nous estimons quant à nous
que cet achoppement était bien antérieur, coexistant et parallèle à la construction
de la règle factice, et que l'objet du désir qu'il désignait était passé entre-temps de
la « noblesse » en elle-même à ce « protectionnisme malthusien » précédemment
évoqué.
Les exercices dialectiques des travaux menant à la loi de 1957 et de ceux de Payen,
Duveau et Lemaire sont certes intéressants mais démontrent à l'envi la distorsion
des postures tenues pendant les deux siècles précédents. Aujourd'hui cette performance d'équilibriste est bien oubliée et plonge le barreau dans la contemplation de
son glorieux et idéal passé, détaché de toute contrainte matérielle alors que cet âge
d'or n'a jamais existé que pour une certaine partie de son élite. Finalement, sous la
houlette du bâtonnier Christian Charrière-Bournazel et du vice-bâtonnier Jean-Yves
Le Borgne, le barreau de Paris admet avec bienveillance la relativité et la spécificité
de la doctrine de l'ordre des avocats de la capitale37. Par exemple, cet ouvrage cite
plus complètement le bâtonnier Archambault dans sa réponse au procureur général
de Paris en 1819 : « Partout où les avocats ne suivent pas les mêmes maximes que
nous relativement à leurs honoraires, je ne fais nul doute qu'ils ont le droit d'en
former la demande en justice et qu'en ce cas il y a lieu à appréciation », tout en
ajoutant que « la jurisprudence est bien là pour témoigner de ce que Mollot qualifie
de dissidences regrettables ». Jean Appleton (1868-1942), fondateur de l'Association
nationale des avocats, se voit même accorder la parole lorsque, tel un « novateur »
face à ce qui est encore présenté comme une « tradition », militant pour une grande
réforme de la profession, il professe entre autres nécessités l'amodiation de la doctrine sur le désintéressement, qui « n'est pas le dédain absolu des avantages matériels ; il consiste à ne pas considérer le profit comme le mobile déterminant des
actes professionnels »38. Nous aimerions maintenant remonter le temps pour mettre en exergue le mensonge originel et ses possibles arrière-pensées, qui pourraient
être au nombre de deux au moins : l'aspiration à la noblesse et le protectionnisme.
Les aventures d'un avocat au barreau de Paris sont là pour nous l'enseigner.
23 › Instrumentalisation du cas de Linguet. - Nous avons déjà parlé de manière
incidente du célèbre avocat parisien Simon-Nicolas-Henri Linguet (1736-1794).
C'est Jules Favre qui nous en a donné l'occasion à la lecture du texte de la plaidoirie
déclamée à Clermont-Ferrand en 185039. En effet, pour s'opposer à l'action du
bâtonnier Verdier-Latour, il prenait sa radiation en exemple, car selon lui, Linguet
aurait subi presque instantanément la sanction suprême de son ordre parce qu'il
avait osé solliciter en justice le paiement de ses honoraires à l'encontre des Rohan.
À presque cent ans de là, en 1947, c'est l'ouvrage du bâtonnier Jean Moliérac, avocat
37. Collectif, Honoraires de l'avocat, Éditions législatives, 2010.
38. J. APPLETON, Traité de la profession d'avocat, Dalloz, 1928.
39. Cf. supra, nº 14 et nº 16.

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