Guide pratique - L'honoraire de l'avocat - 1re - 41

HISTOIRE REVISITÉE DU DROIT DE L'HONORAIRE

Il n'est pas étonnant que des gens si précautionneux dans les préliminaires dédaignent de s'occuper des suites. Leur noblesse apparente pour l'avenir, n'est qu'un
moyen plus sûr de rançonner sur le champ. Elle couvre bien plus de commission
que de sacrifices. Je n'ai pas cru devoir les imiter ». En fait il transparaît de cette
diatribe que ce sont les formes employées par l'avocat qui sont en cause lors de
sa demande de paiement au duc plutôt que la demande elle-même. Comme nous
le verrons, le bâtonnier versaillais André Damien prit dès 1973 le contre-pied de la
doctrine de l'honoraire développée par le barreau de Paris en retenant l'attitude
contestataire de Linguet comme son démenti, mais sans dénoncer l'instrumentalisation que nous mettons en avant42, même s'il désignait la contradiction marquée
entre le discours et la réalité43.
Sans entrer dans le détail de l'affaire Linguet, il convient de rappeler que cet homme
très supérieur n'était pas issu du sérail mais « d'une honnête famille d'agriculteurs » en phase d'ascension sociale depuis que son père était devenu professeur
puis sous-principal au collège de Beauvais à Paris. Mais le père avait aussi le tort
d'être janséniste, ce qui lui valut d'être banni de Paris. « Il devint greffier de l'élection
de Reims, y épousa la fille d'un procureur » et engendra l'avocat44. Linguet était
d'une grande intelligence qui cependant ne lui permettait pas de dompter l'impétuosité exacerbée de son caractère. C'est ainsi que, si ses plaidoyers étaient brillants,
ils n'éclipsaient pas le grave inconvénient de débordements mal vécus par les autres
acteurs judiciaires, qu'ils soient magistrats ou avocats. Dans le recueil connu sous le
nom de l'éditeur Charles-Louis-Fleury Panckoucke45 (1780-1844), les auteurs énonçaient sobrement que « si le triomphe de Linguet fut éclatant, il ne fut pas de longue
durée ; bientôt quelques expressions inconsidérées, qu'il laisse échapper dans la
cause de madame de Béthune, soulèvent une tempête contre lui ; aussitôt on s'assemble, on délibère, et le conseil de l'ordre, qu'un confrère plus obscur eût peutêtre trouvé plus indulgent, prononce sa radiation du tableau. Linguet proteste, écrit,
invective. (...) L'arrêt qu'il a obtenu n'est qu'un triomphe stérile, et il est obligé
d'abandonner une carrière qui lui présentait un si bel avenir. Dès lors il se livra
tout entier à la littérature. Il ne put échapper, après de nouvelles offenses, à une
lettre de cachet, aux geôles de la Bastille, à l'exil, à encore de violentes disputes
avec ses sauveurs couronnés, revint à Paris pour défendre devant la Constituante
« les droits de l'assemblée coloniale de Saint-Domingue, et attaquer ce que l'on
appelait alors la tyrannie des Blancs », avant de « s'éloigner des premiers excès de
la Révolution » en une retraite champêtre où en définitive les fureurs de la Convention vinrent le chercher pour le mener à la guillotine.
François-Xavier de Feller (1735-1802), certes jésuite qui étudia la philosophie à
Reims et partant susceptible d'être taxé de partialité, soulignait même que Linguet,
42. A. DAMIEN, Les avocats du temps passé, Henri Lefebvre, Versailles, 1973.
43. A. DAMIEN, « Un avocat fastueux au XIXe siècle, Chaix d'Est-Ange », Gaz. Pal. 1976.2, Doctr. 632.
44. CLAIR et CLAPIER, Barreau français. Collection des chefs-d'œuvre de l'éloquence judiciaire en France, seize vol.,
C.L.F. Panckouke, 1821-1824, 1re série, t. VI, 1822.
45. Linguet œuvra d'ailleurs une courte période, de 1774 à 1776, comme journaliste, rédacteur ou critique pour le
père de cet éditeur, Charles Panckoucke (1736-1798), dans le cadre du Journal de politique et de littérature. Mais
en raison des attaques presque systématiquement excessives commises par notre personnage, notamment à
l'égard des membres de l'Académie française, la collaboration cessa semble-t-il sur pression de ministres.

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