Guide pratique - L'honoraire de l'avocat - 1re - 44

L'HONORAIRE DE L'AVOCAT

qu'il a lui-même ressenti cette anomalie historiographique, reprise à partir d'une
phrase de Camus (phrase d'ailleurs souvent citée de façon tronquée ou inexacte).
Nous devons cependant préciser que, contrairement à ce que croit André Damien,
cette posture n'était pas totalement inconnue des prédécesseurs de Camus.
25 › Biarnoy de Merville et Boucher d'Argis et leurs Règles pour former un
avocat54. - Ainsi Pierre Biarnoy de Merville (mort en 1740) donnait ses Règles
pour former un avocat en 1711. Il fut réédité une première fois post mortem
sans nom d'auteur par Antoine-Gaspard Boucher d'Argis (1708-1791) (notre
exemplaire est de l'édition de 1753), puis complété et enrichi sous le nom de
ce dernier auteur (édition de 1778 pour l'exemplaire que nous consultons). Ils
narraient qu'« au commencement [en Grèce] ces orateurs prononçaient euxmêmes les discours qu'ils avaient composés pour autrui ; c'est ainsi qu'en
usaient Themistocles, Périclès et Aristides. Antiphon fut le premier qui composa
pour quelques-uns de ses concitoyens des oraisons qu'ils prononçaient pour
soutenir leur droit en jugement. (...) Antiphon fut, dit-on, le premier qui reçut
de ses clients une récompense pour le soin qu'il avait pris de leur défense. Les
autres orateurs à son exemple reçurent également de leurs clients des honoraires en argent et autres présents. Ils se conduisirent cependant toujours plutôt
par un principe d'honneur que d'intérêt, et ceux en qui l'on reconnut un esprit
mercenaire en furent repris vivement, comme on voit dans les oraisons
d'Aeschynes et de Demosthenes ». Et de passer de l'hellénisme à la romanité :
« Cette profession se faisait gratuitement à Rome ; cependant comme par la raison générale tout service mérite récompense, soit du public, ou des particuliers,
proportionnée au travail ; il est juste qu'on ait soin de leur donner leurs honoraires, encore qu'ils ne les demandent pas par bienséance ; mais un avocat doit
recevoir ce qu'on lui donne sans rien exiger, et encore moins sans en former
l'action, si on lui refusait son honoraire ». Ces deux déontologues, aussi avocats
au barreau de Paris, prenaient garde de ne pas simplifier : « Les lois et les docteurs, les anciennes ordonnances et plusieurs anciens arrêts donnent aux avocats une action pour le paiement de leurs honoraires : mais suivant la dernière
jurisprudence du parlement de Paris et la discipline actuelle du barreau, on ne
souffre point qu'un avocat intente une telle action ; et c'est ce qui résulte d'un
arrêt du 7 septembre 1737, rapporté sur l'article 73 de la Coutume d'Artois ».
La force de cette doctrine déployée par le barreau de Paris était à l'opposé de la
faiblesse de ses bases. Boucher d'Argis n'était pas dupe et, à la différence
de Camus, présentait vis-à-vis de la doctrine de l'institution du barreau une certaine
indépendance intellectuelle, prudente et discrète mais claire. Tout en relatant le
changement par « la dernière jurisprudence du parlement de Paris » et « la discipline
actuelle du barreau » (il aurait pu parler de la dernière mode), il signalait par ailleurs
à bon escient « qu'un avocat ne traite pas des droits de ses clients et qu'il n'entre
pas de part directement ni indirectement : ce serait un procédé indigne et condamné
par les lois et les ordonnances ». C'était là le véritable désintéressement, le détachement de tout intérêt propre, principe partagé par les anciens comme par les
54. I. Anonyme (P. BIARNOY DE MERVILLE et A.-G. BOUCHER D'ARGIS), Règles pour former un avocat, Durand et Pissot, 1753.
II. A.-G. BOUCHER D'ARGIS, Règles pour former un avocat, Durand, 1778.

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