Carrières judiciaires - Entrer à l’ENM - L’épreuve de connaissance et compréhension du monde contemporain - 3e - 169

CHAPITRE 2 - EXERCICES PRATIQUES (II)

L'enjeu des moyens alloués aux départements pour conduire les politiques d'action
sociale est éclairant : ces politiques sont essentielles pour diminuer le sentiment de
vulnérabilité et lutter contre l'insécurité, sociale comme physique ; pourtant elles ne
s'accompagnent pas de moyens suffisants, en dépit d'exigences constitutionnelles,
et les dynamiques de dépense sont très inégales entre départements. Le fonds de
péréquation des droits de mutation tente d'apporter une réponse partielle à cette
situation et montre la nécessité pour le politique de se donner des moyens financiers
à même de rassurer.
Par ailleurs, au-delà du politique, la société peut elle-même s'emparer de ses
« passions tristes » pour les renverser et se mobiliser au service d'un projet collectif.
Premièrement, le sentiment d'insécurité se nourrit de la peur et cette représentation sociale, excitée par les passions, prend rapidement des formes disproportionnées.
Or, il est possible de répondre au sentiment par le sentiment ou, en d'autres termes,
de se servir de la peur pour la vaincre ou du moins l'atténuer.
En effet, cette peur peut être un sentiment positif. C'est elle qui pousse les hommes
à se rassembler dans le Léviathan de Hobbes. Au XXe siècle, le philosophe Günther
Anders estime que, face aux menaces nouvelles induites par les progrès d'une technique non-maîtrisée, les hommes ont raison d'avoir peur. De même, Hans Jonas
dans Le Principe Responsabilité plaide pour une « heuristique de la peur » : elle n'est
plus paralysante mais doit amener les individus à agir positivement pour en éliminer
les sources. En d'autres termes, le sentiment d'insécurité est combattu par l'action,
avec la peur pour moteur. Le sociologue Jacques Danzelot se fonde sur la même idée
lorsqu'il construit l'idée d' « empowerement », inspirée de l'expérience américaine :
il s'agit d'utiliser pour levier les sentiments d'insécurité et d'impuissance des populations des quartiers « politique de la ville » pour les inciter à agir.
De telles considérations laissent supposer que le sentiment d'insécurité peut
être combattu dans la mobilisation et l'engagement, notamment politique. En effet,
dans des sociétés globalement plus sûres, il ne naît pas nécessairement d'un danger
mais d'une impression de vulnérabilité, accentuée par les difficultés du pouvoir politique à répondre à cette vulnérabilité. « N'ayez pas peur » a déclaré Jean-Paul II,
comme un appel masqué à la mobilisation sociale et populaire contre les régimes
politiques à l'Est du Rideau de fer. Ces mots trouveraient un écho différent mais voisin
aujourd'hui à propos de ce « sentiment d'insécurité » affirmé mais jamais défini. Il
semble nécessaire de retrouver la confiance dans la possibilité d'une action positive contre ce sentiment de vulnérabilité et d'impuissance. Camus, dans Le Mythe de
Sisyphe, voyait dans l'engagement une nécessité pour l'homme en vue de trouver
un sens à son existence, malgré son absurdité. Cette position peut se transposer au
niveau collectif : le discours politique devrait être à même de susciter l'enthousiasme
de la mobilisation et la confiance dans un projet pour l'avenir. Morin dans La Crise
sans fin conclut ainsi à la nécessité d'abandonner le vocabulaire de la crise pour se
projeter dans l'avenir. La réponse au sentiment d'insécurité ne réside donc pas dans
des dispositifs ponctuels mais dans une capacité à proposer un projet.

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