Guide pratique - La procédure pénale en droit de la presse - 1re - 281

LA CONTESTATION DU RÉSULTAT DU PROCÈS

692 › Liberté d'expression et droit pénal. Par conséquent et par souci de protection, la CEDH exige de la « retenue dans l'usage de la voie pénale en matière
de liberté d'expression »95.
Cette interprétation conduit à de nombreuses condamnations de la France, plus
encore dans certains thèmes de prédilection de la Cour, notamment ce qu'elle
estime être un « sujet d'intérêt général » pour lesquels la discussion est très largement ouverte96, même si elle n'est pas absolue.
693 › Ainsi dans la célèbre affaire Eon : l'auteur de l'offense à président de la
République n'avait été condamné en France qu'à une peine de 30 euros
d'amende, au demeurant prononcée avec sursis. Peu importe : « après avoir
pesé l'intérêt de la condamnation pénale pour offense au chef de l'État dans
les circonstances particulières de l'espèce et l'effet de la condamnation à
l'égard du requérant », la Cour juge que « le recours à une sanction pénale par
les autorités compétentes était disproportionné au but visé et n'était donc pas
nécessaire dans une société démocratique »97. Plus récemment, la France fut
de nouveau condamnée pour violation de l'article 10, pour avoir elle-même
condamné un requérant à une amende avec sursis et de faibles dommages-intérêts. Pour la CEDH, « même lorsque la sanction est la plus modérée possible, à
l'instar d'une condamnation accompagnée d'une dispense de peine sur le plan
pénal et à ne payer qu'un "euro symbolique" au titre des dommages-intérêts,
elle n'en constitue pas moins une sanction pénale qui peut avoir un effet dissuasif quant à l'exercice de la liberté d'expression »98.
Dans l'arrêt Colombani, la CEDH allait plus loin : la Cour y constatait « que le délit
d'offense [à personnalité politique étrangère] tend à porter atteinte à la liberté d'expression et ne répond à aucun "besoin social impérieux" susceptible de justifier
cette restriction »99. À la lire, ce n'était pas l'application de la sanction au cas d'espèce qui se révélait disproportionnée, mais bien l'existence même du délit qui était
injustifiée au regard de la liberté d'expression.
694 › Perspectives. La solution pourrait être riche de conséquences : la Cour
européenne se permettrait donc d'opposer au législateur français sa propre
appréciation de la légitimité du recours aux sanctions pénales ? Cela aurait soulevé beaucoup de questions... Par exemple, que penser de l'emprisonnement
encouru en cas de provocation à la haine ? N'est-il pas disproportionné de
répondre de cette façon à l'expression d'une personne qui n'aura incité autrui
qu'à un sentiment - aussi malsaine soit la haine - ?
Mais en réalité, la postérité de cette solution semble assez limitée, du fait de la
nature du contrôle réalisé par la CEDH. Certaines affaires exceptionnelles - tel l'arrêt Colombani - mises à part, il s'agit simplement d'apprécier la légitimité d'une
95. V. par ex : CEDH, 5e sect., 12 juill. 2016, no 50147/11, Reichman c/France, § 73 ; ou la décision CEDH,
5e sect., 1er févr. 2018, no 50538/12, Damien Meslot c/France, § 51.
96. V. à titre d'illustration : CEDH, 5e sect., 7 sept. 2017, no 41519/12, Lacroix c/France.
97. CEDH, 5e sect., 14 mars 2013, no 26118/10, Eon c/France, § 62.
98. CEDH, 5e sect., 12 juill. 2016, no 50147/11, Reichman c/France, § 73 ; même solution pour un simple avertissement disciplinaire : CEDH, 5e sect., 19 avr. 2018, no 41841/12, Ottan c/France, § 73.
99. CEDH, 2e sect., 25 juin 2002, no 51279/99, Colombani et a. c/France, § 69.

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