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L'Avocature
La tentation de la politique
Entre 1881 et 1940, environ cent cinquante députés inscrits au Barreau
siègent au Parlement18 de façon presque permanente. La moitié des ministres
sont des avocats, tandis que plus d'un président du Conseil et d'un président
de la République sur deux est juriste. Certes, François Mitterrand a été avocat, deux de ses ministres - des Affaires étrangères et de la Justice - l'ont été,
mais c'est à peu près tout. L'équipe dirigeante rassemble des technocrates
issus des grands corps de l'état ou des facultés de sciences économiques.
Depuis 1981, entre 20 et 40 représentants du Barreau siègent à l'Assemblée
nationale à côté de nombreux fonctionnaires, notamment de l'éducation
nationale. L'époque de Gambetta, Jules Grévy, Casimir-Perier, Poincaré,
Waldeck-Rousseau, Aristide Briand, Pierre Laval est révolue. La république
des avocats est terminée.
La principale motivation subjective pour choisir la profession d'avocat
- faire de la politique - a donc presque totalement disparu. Et à l'inverse,
certains hommes politiques, comme l'ancien Premier ministre Dominique
de Villepin, ont cru y trouver une niche. Mais son cabinet s'est vite transformé, dès août 2015, en société commerciale de conseil. Le métier d'avocat
ne lui apportait rien de plus et sept années passées au Barreau ont suffi pour
qu'il s'en aperçoive. Le mystère de cette pléthore d'avocats dans le monde
politique autrefois, un bon auteur l'a expliqué : « Depuis l'écroulement
de la monarchie, la France est veuve. Le code Napoléon a fait le Français
orphelin. Les défenseurs de la veuve et de l'orphelin deviennent naturellement les défenseurs de la cité19. » Phrase typique de l'avocat d'une époque
dans un pays où « tout finit en chanson » ou en galéjade.
Le règne de l'avocat tenait à deux réalités cumulées : l'apparition du suffrage
universel qui privilégie la prise de parole publique, le blocage de la société
française qui a favorisé l'esprit judiciaire. De 1875 à 1929, un accord tacite
semble lier tout le corps social : « ne pas bouger ». Vivant dans le protectionnisme, faisant peu d'enfants, hostile à toute mobilité sociale entre
l'agriculture et l'industrie, reléguant le prolétariat industriel dans un ghetto,
la bourgeoisie qui recueille l'approbation majoritaire du pays gère un statu
18. Sur cette question, voir l'ouvrage d'Henri Gaudemet, Les Juristes et la Vie politique de la
IIIe République. Paris, PUF. 1970. Lors de la législature de -1881- sur 560 députés, il y avait
229 juristes dont 153 avocats ; en 1906, sur 580 députés, 217 juristes, dont 144 avocats ; en 1924,
sur 584 députés, 167 juristes, dont 140 avocats ; en 1936, sur 618 députés, 128 juristes, dont 110 avocats ; en 2013, 49 avocats.
19. Albert Thibaudet, La République des professeurs, Paris, Grasset, 1927, p. 23.

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