Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 9

Actes de colloque

l'effort d'apprentissage se réduit avec chaque nouveau
texte.

mesure exacte de l'appropriation de sa législation dans
les États membres.

Enfin, l'intervention de la CJUE est sans doute « mécanique », mais au moins elle permet de lever les incertitudes
qui pèsent sur certaines règles : avec les arrêts de la Cour
de Luxembourg, on peut bénéficier d'un texte européen
éclairé de la même façon dans tous les États membres.

Une étude récente, souhaitée par la Commission, nous
a fourni quelques indications cependant  ; intitulée
« Itinérances transfrontières et affaires civiles : couples et
parentalité dans l'espace judiciaire européen », elle a été
coordonnée par notre école nationale de la magistrature et
menée de 2015 à 2017 en France, en Italie et en Roumanie,
au sujet de l'application du règlement Bruxelles II bis dans
ces trois pays.

Il reste un facteur d'incertitude : l'intervention des cours
suprêmes et en particulier de la Cour de justice et de la
Cour de Strasbourg fondée sur des textes fondamentaux.
Cette jurisprudence importante mobilise les droits fondamentaux - et en particulier le droit au respect de la vie
familiale et de la vie privée - et les libertés de circulation
pour protéger le citoyen. On connaît tous la jurisprudence Mennesson et Labassée de la Cour européenne
(CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11 et CEDH, 26 juin 2014,
n° 65941/11) : le citoyen a trouvé dans les droits fondamentaux un bouclier lui permettant de faire valoir certains
droits à l'égard de l'État, même si cela dérange.
La caractéristique de cette jurisprudence est qu'au
contraire des règlements européens, elle déconstruit les
règles nationales. C'est très visible quand on se penche
sur la jurisprudence de la Cour de justice en matière de
nom patronymique : avec l'arrêt Grunkin Paul (qui concernait cet enfant né au Danemark de parents allemands,
CJCE, 14 oct. 2008, n° C-535/06), la Cour a en octobre 2008
clairement condamné la règle allemande de conflit de lois
en matière de nom qui soumettait le nom à la loi de la
nationalité.
Et la déconstruction peut s'avérer radicale ou sévère  :
la Cour vient en juin 2017 dans une affaire Mircea Florian
Freitag (CJUE, 16 oct. 2015, n° C-541/15) de censurer à
nouveau l'Allemagne, parce que celle-ci avait à la suite
de l'arrêt Grunkin Paul adopté un mécanisme permettant
aux personnes possédant selon un droit étranger, un nom
différent du nom accepté en Allemagne, de faire modifier
leur nom. Pour faire bref, la Cour a constaté que ce mécanisme n'allait pas assez loin parce qu'il subordonnait la
reconnaissance du nom obtenu à l'étranger (en l'occurrence un nom obtenu en Roumanie) au constat que la
personne ait obtenu ce nom lors d'un séjour habituel dans
cet État membre.

Depuis le 1er mars 2005, le règlement Bruxelles II bis est
le répertoire de nos règles de conflits de juridiction en
matière de divorce et de responsabilité parentale. C'est
donc le tout premier outil de travail en matière familiale
en présence d'un élément d'internationalité.

"

Si la France est l'un des creusets
du droit international privé et un pôle
d'excellence universitaire, la pratique
dans nos tribunaux n'est pas
à la hauteur de cette tradition

"

Je résume  : les juridictions roumaines ont plusieurs
longueurs d'avance sur nous en matière de dématérialisation des décisions de justice ; tant les Roumains que
les Italiens appliquent le règlement de manière presque
systématique, tandis qu'en France, son application est
« variable » ; il n'y a qu'en Roumanie que les juges se réfèrent à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union et
que les cours d'appel censurent systématiquement la nonapplication du règlement  ; enfin, une erreur commune
dans nos juridictions consiste à imaginer que l'accord des
parties permet d'ignorer ou de passer outre le règlement.
C'est vrai, la commission européenne pourrait faire un
effort pour étoffer le guide pratique du règlement.
Il reste que si la France est l'un des creusets du droit
international privé et un pôle d'excellence universitaire,
la pratique dans nos tribunaux n'est pas à la hauteur de
cette tradition.

Cette jurisprudence suscite un appétit certain chez les
praticiens parce qu'elle permet de faire obstacle à une
règle nationale qui limite le déploiement dans un État
d'une situation acquise dans un autre.

Et pourtant, le règlement Bruxelles II  bis n'est pas un
corpus allogène, qui nous aurait été imposé par une puissance extérieure  ; c'est un instrument que nous avons
rédigé, négocié, adopté avec nos partenaires, mot à mot.

Elle pose néanmoins un problème important du point de
vue « macro » parce qu'elle est construite autour de cas
singuliers, dont elle épouse souvent les contours. Il est
donc difficile de généraliser à partir de cette jurisprudence et difficile aussi de conseiller - peut-on par exemple
étendre la jurisprudence Grunkin Paul à d'autres éléments
du statut familial, comme le mariage par exemple ? Les
opinions sont pour le moins contrastées sur cette question. Il y a donc une incertitude inhérente à l'intervention
des cours suprêmes, qui rend votre travail intéressant et
stimulant, mais aussi quelque peu plus difficile.

Le règlement Bruxelles II  bis est venu combler une absence quasi-totale de règle de conflits de juridictions dans
notre Code civil.

Cyril Roth
L'Union européenne est devenue la principale source du
droit international privé de la famille, mais nous n'avons
pas vraiment d'instrument qui permette de prendre la

Là où seuls régnaient les oracles de la jurisprudence et
les constructions doctrinales, nous avons désormais une
règle claire, accessible et impérative, avec un juge pour
l'éclairer.
Mieux, cette règle est la même dans tous les pays de
l'Union  : le 1er  mars 2005, j'ai su comment le juge de
Catane, en Sicile, et celui de Klaipeda, en Lituanie, raisonnaient leur compétence internationale.
Ce petit miracle est accessible à tout professionnel
du droit. Cette facilité d'accès à la règle de droit favorise considérablement l'anticipation, bien en amont du
contentieux.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 2 4 AV R I L 2 0 1 8 - N O h o rs - s é ri e

9



Table des matières de la publication Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018

Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 1
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 2
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 3
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 4
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 5
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 6
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 7
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 8
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 9
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 10
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 11
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 12
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 13
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 14
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 15
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 16
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 17
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 18
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 19
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 20
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 21
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 22
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 23
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 24
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 25
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 26
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 27
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 28
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 29
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 30
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 31
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 32
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 33
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 34
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 35
Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 36
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2023-06-27-hors_serie_3
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2022-06-28-hors_serie_02
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2021-09-15-hors_serie_2
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2020-10-04-N34
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2018-05-18-hors_serie
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2018-04-24-hors_serie1
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/Gazette_90-2015
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/CS_271-2015
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL_2014-09-13-256
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL_2014-09-11-254
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL_2014-09-09-252
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GP-240-2014-Droit-et-commerce
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/Gazette_186
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL_2014-04-01-091_CDF-web
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/CahiersSociaux-no251
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPS89_Etats-generaux-du-droit-de-la-famille
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GazetteDuPalais_EtatsGenerauxDuDommageCorporel
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/gazette84
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GazetteduPalais_DroitetCommerce_2011
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/Gazette_du_palais_etats_generaux_du_droit_de_la_famille
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/Gazettedupalais_Droitetcommerce
https://www.nxtbookmedia.com