Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 53

Actes de colloque

prévus pour les arbitres si la sentence n'est pas rendue
assez rapidement. Cette méthode - qui a été contestée - a
eu deux effets immédiats : d'une part, elle a engendré une
obligation de vigilance entre coarbitres qui ne veulent pas
subir les conséquences de l'inertie de l'un d'entre eux. Les
rappels à l'ordre entre coarbitres existent donc désormais
en cas de retard ou d'abus de l'un d'entre eux. D'autre
part, la conséquence a été une réduction des délais de
reddition des sentences, ce qui était parfois nécessaire.
La pratique est ainsi désormais orientée sur la célérité.

2. Les obligations des centres d'arbitrage
13. À l'instar des arbitres, les centres d'arbitrage doivent
eux aussi désormais être réactifs. Ils doivent l'être en
particulier aux deux moments clés de leur mission, c'està-dire quand l'avancement de la procédure ne dépend pas
des parties : lors de la constitution du tribunal arbitral et
lors de l'examen du projet de sentence. Pour indispensables qu'elles soient, ces étapes ne sauraient ralentir
exagérément le processus. Or, force est de constater que,
en pratique, cela dure parfois trop longtemps.
À telle enseigne que certaines parties mécontentes de la
durée des procédures arbitrales n'ont pas hésité à tenter
de mettre en œuvre la responsabilité civile contractuelle
des centres d'arbitrage. À ce jour, et à notre connaissance, cette responsabilité n'a encore jamais été retenue
par la jurisprudence française, soit parce que les tribunaux ont estimé que la preuve de la faute du centre n'était
pas rapportée (affaire Cubic) (5), soit parce qu'il a été jugé
que le retard était en grande partie dû aux incidents provoqués par celui-là même qui se plaignait de ce retard
(affaire Projet Pilote Garoubé) (6), soit parce qu'il n'appartient pas au centre d'arbitrage de prendre l'initiative de la
prorogation des délais et que la preuve du préjudice n'est
pas rapportée, ce que vient de préciser la cour d'appel de
Paris dans un arrêt très récent (7).
Il n'en demeure pas moins que le risque de mise en jeu de
la responsabilité civile des centres d'arbitrage pour absence de célérité est un autre facteur d'accélération des
instances arbitrales.

3. Les obligations des litigants
14. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, et alors
que l'arbitrage est fait pour eux, les litigants sont également soumis à une obligation de célérité. L'article 1464,
alinéa  3, du Code de procédure civile, déjà évoqué cidessus pour les arbitres, précise bien que l'obligation de
célérité pèse aussi sur les parties. La réforme du doit de
l'arbitrage en  2011 l'a expressément bilatéralisée. Les
litigants doivent donc eux aussi agir avec diligence et les
arbitres sont créanciers de cette obligation. Un litigant qui

(5) Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 99-12574, Sté Cubic : Bull. civ. I, n° 39 ; Rev.
arb. 2001, 511, note Clay T. ; Rev. crit. DIP 2002, p. 124, note Seraglini C. ;
CAPJIA 2002, p. 35, note Niboyet M.-L. ; Bull. ASA 2001, 367 ; JCP E 2001,
683 ; D. 2001, IR, p. 903, obs. Deis S. ; JCP G 2001, IV 1686 ; Décideurs
jur. et fin., juillet 2001, p. 3, obs. Gaillard E. ; Riv. dell'arb. 2001, 489, note
Gosi G. F.
(6) Cass. 1re civ., 13 déc. 2017, n° 16-22131, Sté Projet Pilote Garoubé, PB :
CAPJIA 2018, p. 701, note Barbier H. ; CAPJIA 2018, p. 295, obs. De Fontmichel M. ; D. 2018, p. 2458, obs. Clay T. ; Procédures 2018, 50, obs. Weiller L. ; Rev. arb. 2018, 370, note Chantebout V. ; Gaz. Pal. 20 mars 2018,
n° 315m1, p. 21, obs. Bensaude D. ; JCP G 2018, 8 ; D. 2018, p. 18.
(7) CA Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, préc.

ralentirait exagérément la procédure, au point de commettre une faute créant un préjudice aux arbitres pourrait
voir sa responsabilité civile contractuelle engagée, y compris par les arbitres.
15. Mais la réforme de 2011 est allée encore bien plus loin
en consacrant un véritable devoir de réaction à la charge
des parties. Le nouvel article 1466 du Code de procédure
civile reprend une solution jurisprudentielle en énonçant
que « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif
légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé
à s'en prévaloir ».
Il s'agit bien d'un devoir de réaction qui est en passe de
l'emporter sur toutes les autres règles. Celui-ci est apparu
notamment à l'occasion de la célèbre affaire Tecnimont (8),
qui occupe les juridictions françaises depuis 10 ans, et qui
symbolise les mutations du droit de l'arbitrage. En effet,
alors qu'on s'interrogeait auparavant sur l'indépendance
réelle de l'arbitre, ce questionnement a progressivement
été supplanté par la question de savoir si ce qui était reproché à l'arbitre avait ou non été préalablement dévoilé
par celui-ci. L'obligation de révélation a ainsi occupé une
place de plus en plus centrale dans l'examen de l'indépendance de l'arbitre, au point qu'on a pu même penser
un temps que celle-là avait remplacé celle-ci.
16. Mais un second remplacement s'est ensuite opéré,
toujours dans cette même affaire, puisque la question du
contenu de la révélation a, à son tour, semblé secondaire
par rapport à celle de savoir si celui qui se prévalait d'une
révélation incomplète avait réagi assez tôt. Au fond, avant
de se demander si la révélation avait été complète, on
s'interrogeait sur la réactivité pour soulever le grief. La
question n'est donc plus de savoir si l'arbitre est indépendant ou non, elle n'est même plus de savoir si le contenu
de la révélation est complet, elle consiste à se demander
si la réaction a été assez rapide. Et la Cour de cassation
vient de répondre par la négative dans l'affaire Tecnimont,
considérant que le délai de 30 jours prévu au règlement
d'arbitrage applicable (qui est d'ailleurs de même durée
en droit commun) n'ayant pas été respecté, la sentence ne
peut être annulée pour absence d'indépendance de l'arbitre, quand bien même celle-ci aurait effectivement fait
défaut (9). Bref, le devoir de réaction l'a emporté en droit
de l'arbitrage.

4. Les obligations des conseils
17. Forts de cette obligation de réaction qui pèse sur les
parties, leurs conseils doivent naturellement s'aligner et
s'abstenir de faire valoir des considérations personnelles
d'agenda ou d'invoquer des indisponibilités qui pourraient
ralentir le processus arbitral, parfois même au détriment
de l'intérêt de leurs propres clients. À ce titre, on conseillera aux parties d'être personnellement présentes lors de
l'établissement du calendrier de procédure, afin qu'elles
puissent ainsi peser sur la diligence de leurs conseils, qui
ont parfois tendance à faire reporter sur les arbitres leur
propre manque de disponibilité.

(8) Cass. 1re civ., 19 déc. 2018, n° 16-18349, Sté Tecnimont, PB : CAPJIA 2019,
n° 1, note Clay T. (à paraître) ; Dalloz actualité, 22 janv. 2019, obs JourdanMarques J. ; Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. Debourg C.
(9) Cass. 1re civ., 19 déc. 2018, n° 16-18349, préc.
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