Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 6

Actes de colloque

nouvelles technologies, qui sont des technologies de
rupture, aptes à provoquer la remise en cause de nos
concepts juridiques. On pense par exemple aux objets
connectés, aux robots, à l'intelligence artificielle, mais
aussi, évidemment, à la blockchain, cette technique de
stockage et de transmission d'informations, transparente
et sécurisée, fonctionnant sans organe central de contrôle,
et qui permet aujourd'hui par exemple des levées de fonds
considérables en quelques secondes !

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Les prises de décision, notamment
de la part d'investisseurs soucieux
de sécurité, risquent de demeurer
délicates

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2. La deuxième raison, c'est l'hyperconcurrence, nationale et, plus encore, internationale et, avec elle,
l'ouverture des marchés qui est à l'origine d'opportunités d'affaires, souvent soudaines, mais qu'il faut pouvoir
saisir immédiatement. À défaut de quoi c'est un concurrent qui s'en saisira et en profitera !
Notre monde économique est ainsi devenu, d'une certaine
façon, celui des situations évolutives, changeantes et donc,
à travers elles, celui d'un véritable zapping des affaires,
constitué, diraient nos amis rugbymen, de nombreux turnovers ! Autrement dit, pour revenir à un langage beaucoup
plus classique, dans le combat des Dieux du temps, c'est
Kairos, l'être ailé qu'il fallait saisir par les cheveux quand
il passait, qui l'a manifestement emporté sur Chronos,
la divinité du temps chronométrique ! Les opportunités
sont donc à prendre, le démarrage réussi d'une start-up,
conçue autour d'une idée originale, peut être foudroyant,
mais, corrélativement, il sera souvent difficile de faire des
prévisions économiques à moyen et, a fortiori, long terme,
de sorte que les prises de décision, notamment de la part
d'investisseurs soucieux de sécurité, risquent de demeurer délicates.
3. Enfin, la troisième raison que j'évoquerai, c'est celle
de la transparence médiatique.
Une transparence qui accentue encore les évolutions et
les retournements de situation, et qui rend au final le
temps presqu'incontrôlable au point qu'on a même pu voir
une certaine presse publier des décisions de justice avant
même qu'elles n'aient été rendues, voire même peut-être
rédigées !
Cette transparence médiatique est elle-même, à bien des
égards, déstabilisante. Car elle peut, par exemple :
- rendre très difficile la tâche d'un avocat lorsqu'il s'appuie sur une présomption d'innocence mise à mal par des
révélations déjà très larges ;
- compromettre des opérations d'affaires telles qu'une
augmentation de capital, une fusion ou encore une offre
publique d'achat lorsque des rumeurs ont déjà atteint le
marché boursier et affecté très sensiblement le cours des
titres d'une société ;
- ou encore compliquer le traitement amiable de certains
conflits, par exemple entre associés, entre groupes d'associés, entre contractants, lorsque les médias se sont déjà
largement fait l'écho de ces difficultés.
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G A Z E T T E D U PA L A I S - M E r C r E D I 1 9 J U I N 2 0 1 9 - N O h o rs - s é ri e

Dans tous ces cas, c'est la tâche même du juriste qui se
trouve en quelque sorte modifiée. Un juriste qui devient un
acteur clé dans la gestion d'une crise. Un juriste dont on
attendra qu'il trouve les bonnes réponses, par exemple,
lorsqu'un produit de l'entreprise se révèle brutalement
défectueux et doit être retiré de tous les marchés, ou
encore lorsque l'entreprise, ou son dirigeant, fait soudainement l'objet de révélations, d'enquêtes, de perquisitions
qui altèrent profondément une réputation, une image de
marque... Dans tous ces cas, le juriste ne peut temporiser,
il lui faut réagir en temps réel pour apaiser les salariés,
les partenaires financiers, les sous-traitants, les marchés
boursiers (cf. Durez A., « Le juriste : un acteur clé dans la
gestion de crise », Journ. Sociétés juill. 2018, p. 6). Mais
à travers cette obligation de réactivité, nous réfléchissons déjà aux interrogations nées de ce bouleversement
contemporain du facteur Temps.

II. LES INTERROGATIONS, ENSUITE
Là encore, je retiendrai trois interrogations ou, plus exactement, trois séries d'interrogations.
1. Première série d'interrogations : sur un plan de technique juridique, peut-on en rester aujourd'hui à la trilogie
précédente, ou ne doit-on pas, au moins dans certains cas,
raisonner différemment et, si oui, comment ?
Autrement dit, est-il encore pertinent, pour les juristes,
de parler essentiellement d'instant, de durée, d'éternité ?
Voire de passé, de présent et d'avenir ? Ne vaudrait-il pas
mieux raisonner en termes de comportements, et donc de
principes sinon généraux du droit, du moins de principes
généraux d'action ?
La question peut naturellement sembler un peu déroutante, voire iconoclaste, mais notre association Droit et
Commerce a toujours été à la source de nouvelles interrogations et, à y bien réfléchir, notre droit contemporain
ne s'est-il d'ailleurs pas déjà orienté progressivement,
et sans qu'on en ait toujours une pleine conscience, vers
des devoirs : devoir de bonne foi du contractant, devoir de
loyauté du dirigeant social, devoir de célérité des arbitres,
devoir de cohérence du plaideur...
Alors, face au temps, ne peut-on pas concevoir, ici
encore, un redéploiement du curseur, notamment judiciaire, vers de telles exigences de comportement ?
Par exemple, vers un devoir de réactivité ? Certes, celleci a été plutôt conçue jusqu'à présent comme une qualité,
comme une opportunité, et cet après-midi, il en sera d'ailleurs question, à travers des exposés de droit contractuel
(avec, notamment, la présentation des réactions unilatérales facilitées par la réforme récente et celle des smart
contracts, tournés vers une automaticité de l'exécution),
de droit des sociétés (requêtes, référé, expertises in futurum...) ou encore de droit social (avec la faveur pour les
accords d'entreprise manifestée en 2017). Mais la réactivité ne devient-elle pas aussi pour le juriste d'affaires
un devoir, lorsqu'il est amené à traiter des difficultés
financières d'une entreprise, à conduire une procédure
arbitrale, à prendre en charge la gestion d'une entreprise,
ou encore à mettre en place un programme de compliance,
avec la cartographie des risques, un audit approfondi de la
chaîne contractuelle, ou encore la mise en place de procédures internes d'identification des circuits financiers...
Bref, un véritable devoir de réactivité n'émerge-t-il pas
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