Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 61

Actes de colloque

loyalement, cette temporisation s'avère très opportune
car au lieu de précipiter une décision qui, si elle devait
être prise dans l'instant, serait certainement malheureuse
pour le candidat, elle lui offre une nouvelle chance de faire
ses preuves.

puisque la Cour de cassation semble distinguer exclusion
et éviction (15).

Dans un autre ordre d'idées et de manière plus générale,
on mesure aussi ce que la réforme du droit des contrats a
bien voulu concéder au temps et aux potentialités de rattrapage qu'il permet en continuant d'admettre, en dépit
d'un contexte international peu favorable, que la résolution d'un contrat pour inexécution puisse être demandée
au juge : car devant le juge, jusqu'au dernier moment, le
débiteur défaillant pourra faire des offres d'exécution (9), et
même solliciter un délai pour exécuter (10).

Une autre manière pour le droit d'entretenir un climat
propice à la seconde chance est de faire montre de bienveillance à l'endroit de ceux qui tendent la perche à autrui.
Car souvent, une telle attitude comporte des risques pour
celui qui y incline. Un risque financier, souvent : ainsi pour
le créancier qui se sera montré patient et qui risquera de
voir s'évaporer son droit de gage du fait des poursuites
conduites par des créanciers plus retors. Un risque juridique aussi : on pense par exemple aux largesses qui
peuvent être consenties entre sociétés d'un même groupe
et qui risquent d'être considérées comme caractérisant
des flux financiers anormaux avec tout ce que cela emporte. On pense encore au grief qui pourrait être adressé
à une banque pour avoir soutenu une entreprise en difficulté et, par là même, aggravé son passif et/ou entretenu
une apparence de solvabilité préjudiciable aux tiers. On
pressent aussi l'objection qui pourrait être adressée au
créancier d'une clause de non-concurrence qui aura toléré pendant un certain temps sa violation et auquel il sera
opposé d'avoir, par là même, définitivement renoncé à son
bénéfice.

Une autre manière d'ouvrir la porte à la seconde chance
c'est le débat  ; le débat qui permet d'apporter des éléments de clarification, de confronter les idées et qui peut
naturellement conduire à revenir sur un point de vue finalement jugé peu pertinent. D'une manière générale, on
sait l'importance que le droit des sociétés accorde à cette
prérogative de l'associé de participer aux débats. Et l'on
peut rappeler à ce titre cette position jurisprudentielle qui
considère que le nu-propriétaire de titres sociaux, alors
même qu'il peut être statutairement privé de son droit de
vote (11), ne peut pas l'être du droit de participer aux décisions collectives : cette prérogative est d'ordre public (12).
Mais ce qui mérite ici d'être tout particulièrement souligné, c'est la reconnaissance progressive du droit à la
parole qui est accordé à ceux qui, dans le fonctionnement
interne de la société, sont appelés à pâtir d'une décision
sociale. Ce fut d'abord le cas du dirigeant menacé de révocation (13), et c'est aujourd'hui le cas de l'associé menacé
d'exclusion dont la jurisprudence considère qu'il a le droit
fondamental d'être entendu avant que la décision sur son
sort ne soit prise (14). On regrette simplement qu'un même
droit ne soit pas reconnu à l'associé menacé d'éviction

(9) Cass. com., 19 janv. 1993, n° 91-11153 ; Cass. soc., 17 janv. 1962 : Bull. civ. V,
n° 64 - Cass. com., 20 oct. 1952 : Bull. civ. IV, n° 308.
(10) C. civ., art. 1228.
(11) Cass. com., 22 févr. 2005, n° 03-17421 : BJS août 2005, n° 232, p. 977 ;
JCP E 2005, 968, p. 1067, note Kaddouch R. ; Rev. sociétés 2005, p. 353,
note Le Cannu P.
(12) Cass. com., 4 janv. 1994, n° 91-20256, De G. : Bull. civ. IV, n° 10 ; BJS
mars 1994, n° 68, p. 279 ; Dr. sociétés 1994, 45, obs. Bonneau T. ; Defrénois
30 avr. 1994, n° 35786, p. 556, obs. Le Cannu P. ; JCP G 1994, I 363, p. 268,
obs. Viandier A. et Caussain J.-J. ; Rev. sociétés 1994, p. 278, note LecèneMarénaud M.
(13) Cass. com., 26 avr. 1994, n° 92-15884 : Bull. civ. IV, n° 158 ; JCP G 1995,
II, 22369, note Gibirila D. ; Rev. sociétés 1994, p. 725, note Cohen D. ; BJS
juill. 1994, n° 221, p. 831, note Le Cannu P. - Cass. com., 3 janv. 1996,
n° 94-10765 : RTD com. 1996, p. 485, obs. Petit B. et Reinhard Y - Cass.
com., 14 mai 2013, n° 11-22845 : D. 2013, p. 2319, note Dondero B. ;
Dr. sociétés 2013, comm. 157, note Roussille M. ; BJS oct. 2013, n° 110n7,
p. 634, note Gaudemet A. - Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-27967 :
Rev. sociétés 2015, p. 371, note Viandier A. ; JCP E 2015, 1463, note
Dondero B. ; Dr. sociétés 2016, comm. 12, note Roussille M. - Cass. com.,
28 nov. 2018, n° 17-15859 : BJS févr. 2019, n° 119k9, p. 21, note Heinich J.
(14) Cass. com., 20 mars 2012, n° 11-10855 : D. 2012, p. 1584, note Laroche M. ;
Rev. sociétés 2012, p. 435, note Couret A. ; RTD com. 2012, p. 348, obs.
Constantin A. ; RTD com. 2012, p. 355, obs. Monsèrié-Bon M.-H. ;
JCP E 2012, 1569, note Garçon J.-P. ; Dr. sociétés 2012, comm. 77, obs.
Hovasse H. ; BJS juill. 2012, n° 311, p. 538, note Lucas F.-X. ; JCP E 2012,
1310, comm. Mortier R. - Cass. com., 29 sept. 2015, n° 14-17343 : BJS
déc. 2015, n° 114h4, p. 629, note Dondero B. ; Rev. sociétés 2016, p. 228,
note Ansault J.-J.

B. Bienveillance pour les pourvoyeurs de seconde
chance

Or à bien des égards, le droit intègre ces problématiques
et, d'une certaine manière, vient au secours de ces pourvoyeurs de seconde chance en les mettant à l'abri des
revers que pourraient impliquer leur complaisance ou
leur soutien.
C'est bien de cet esprit que procède l'article L. 650-1 du
Code de commerce lorsqu'il met en principe à l'abri d'un
engagement de leur responsabilité les créanciers qui
prennent le risque d'accorder leur concours à une entreprise en difficulté. Il est vrai que, lorsqu'il a été adopté, ce
texte a fait polémique parce que l'on y a vu une concession
faite au lobby bancaire. Mais il faut rappeler qu'avant le
vote de ce texte, la jurisprudence avait déjà très largement
contenu le risque d'engagement de la responsabilité des
banquiers en le cantonnant à deux hypothèses de fautes
manifestes : la première étant celle d'un soutien accordé
à une entreprise se trouvant dans une situation « irrémédiablement compromise » (16), la seconde étant celle d'un
soutien « ruineux » pour l'entreprise (17). Or c'était là une
position très sage qui empêchait les créanciers d'être
exposés à une condamnation pour des soutiens dont le
caractère fautif n'aurait pas été manifeste au moment de
leur octroi, mais qui a posteriori auraient risqué d'être sévèrement appréciés à « la lumière déformante de l'échec
de l'effort de sauvetage de l'entreprise » (18).
Du reste, ce souci de construire des solutions équilibrées,
qui visent à éviter de pénaliser ceux qui prennent le risque
du soutien, se retrouve aussi dans certaines décisions

(15) Cass. com., 29 sept. 2015, n° 14-17343 : BJS déc. 2015, n° 114h4, p. 629,
note Dondero B. ; Rev. sociétés 2016, p. 228, note Ansault J.-J.
(16) Cass. com., 7 févr. 2012, n° 10-28757 ; Cass. com., 22 mars 2005,
n° 03-12922 : Bull. civ. IV, n° 67.
(17) Cass. com., 10 janv. 2018, n° 16-10824 : Rev. sociétés 2018, p. 199, obs.
Roussel Galle P. ; Gaz. Pal. 17 avr. 2018, n° 321k2, p. 79, note Lasserre Capdeville J.
(18) Pérochon F., Entreprises en difficulté, 10e éd., 2014, LGDJ, Manuel, p. 162.
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