Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 70

Actes de colloque

de Girard-Gaymard T., Les opportunités d'affaires en droit
privé, Aix-Marseille, 2018). Et l'on comprend un tel diktat.
Lorsque la réactivité est au service de l'action, elle fait
merveille : le contrat est saisi au vol sans lourdes négociations, la start-up capte le marché naissant sans formalités,
en bref, les forces d'inertie disparaissent. Mais quand la
réactivité se détourne de l'action et se met au service de
la communication, c'est autre chose, là est précisément
l'écueil. Or aujourd'hui, le client a tendance à qualifier de
bon avocat l'avocat réactif, l'étudiant fait de même avec
l'enseignant et le justiciable avec le juge ou l'arbitre. Et la
remarque ne vaut pas que pour les hommes de droit mais
aussi pour tous les acteurs de la vie des affaires, sommés
à la diligence extrême par tout partenaire commercial. La
réactivité devient alors parfois une posture et un acte de
communication pour le professionnel. Répondre à un mail
dans la minute, c'est communiquer « regardez comme je
suis réactif, Je suis femme ou homme de l'immédiat ».
Ainsi devant la « dictature de l'urgence » selon les mots
de Thomas Clay, la réactivité se regarde elle-même et
devient son propre but.
Un modèle de rapport du droit au fait. Réactivité et adaptation, modèle de rapport du droit au temps, sont aussi
modèle de rapport entre fait et droit.

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Étudier la réactivité
et l'adaptation, c'est en effet
immanquablement aborder
la psychologie humaine
et ses ressorts

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Réagir, s'adapter, c'est toujours réagir et s'adapter à un
fait, un événement, une situation nouvelle, une circonstance. Par conséquent, la réactivité et l'adaptation sont une
façon de penser le circonstanciel et le droit. On a pu mesurer combien un entrepreneur doit s'adapter aux évolutions
du marché et y réagir le plus tôt possible, comme nous
le disait Rodolphe Saadé, président-directeur général du
groupe CMA CGM, au travers de la narration de l'évolution
connue par la CMA-CGM, qui a notamment pris le virage
de l'activité logistique en rachetant CEVA. On pourrait citer
maints autres exemples, en particulier, le groupe Pinault
Kering, marchand de bois dans les années soixante-dix se
réorientant vers le luxe dans les années 2000, ou encore
l'audace du groupe LVMH né de la fusion d'un malletier
(Vuitton) et d'un spiritueux (Moët Hennessy).
En réponse, le droit se doit d'être en phase avec cette ductilité entrepreneuriale et plus largement sociétale, mais
jusqu'où ? Dans quelle mesure le législateur ou le juge
doivent-ils prendre en compte les pratiques nouvelles ;
le droit des contrats, l'événement nouveau ; le droit procédural, le fait nouveau ? Les normes ne peuvent rester
médusées, bien sûr, et pourtant, se profile aussi le risque
de capitulation lorsque la normativité s'aligne sur la
normalité, lorsque le juridique est une chambre d'enregistrement du social.
Un modèle de rapport du droit à l'humain. Enfin, outre les
rapports du droit au temps et au fait, ce sont les rapports

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du droit à l'humain que la réactivité et l'adaptation permettent d'articuler.
Étudier la réactivité et l'adaptation, c'est en effet immanquablement aborder la psychologie humaine et ses
ressorts. On pense notamment aux effets d'incitation que
peuvent produire des normes tournées vers l'adaptation.
Plus on autorise l'adaptation plus on incite les personnes
à concrétiser leur projet, à sauter le pas, conscientes de
la possibilité de « rectifier le tir », de corriger, régulariser, réorienter ensuite. Sinon, à défaut de cette souplesse
juridique, la loi d'airain peut faire peur et immobiliser
les acteurs de la vie des affaires. Pour autant, chacun
comprend également que promouvoir l'adaptabilité des
normes, c'est dans une certaine mesure ne pas dissuader
de l'action irréfléchie et précipitée. Le droit à la seconde
chance conduit à saisir la première avec davantage de
légèreté. Par ailleurs, quant à la réactivité cette fois,
plus on y incite et plus on invite à donner de l'importance
à la simple péripétie, alors même que le fait auquel on
est invité à réagir peut finalement être véniel. Chacun est
amené à résoudre un problème qui se serait peut-être
dissous de lui-même. L'hyper-réaction présente alors un
coût économique plus élevé que le gain qu'elle était supposée susciter.
Des ressorts qui sont encore plus épidermiques parfois.
L'émotion humaine, grande délaissée du droit, s'invite
dans le débat. Aborder la réaction, c'est évoquer celui
qui a tendance à sur-réagir, le bilieux comme aurait dit
la médecine antique, ou à sous-réagir, le flegmatique.
Comment traiter par exemple le dirigeant qui démissionne
lors d'une assemblée générale dans un mouvement d'humeur ? A-t-il le droit au repentir au retour de son sang
froid ? La Cour de cassation ne le pense pas et rappelle
que la démission d'un dirigeant de société « ne peut faire
l'objet d'aucune rétractation » (Cass. com., 22 févr. 2005,
n° 03-12902 : D. 2005, p. 716, obs. Lienhard A. ; D. 2005,
p. 2950, obs. Hallouin J.-C. et Lamazerolles E. ; Rev. sociétés 2005, p. 625, note Daigre J.-J. ; BJS juill. 2005, n° 194,
p. 862, note Saintourens B. ; JCP G 2005, I, 156, spéc. n° 8,
obs. Caussain J.-J., Deboissy F. et Wicker G.), même pour
le cas des « démissions réactionnelles » (selon les mots
particulièrement justes d'un pourvoi en cassation qui
s'efforça en vain d'en remettre en cause les effets Cass.
com., 7 avr. 2009, n° 07-14626 : RTD civ. 2009, p. 531, obs.
Fages B. ; RTD com. 2009, p. 566, obs. Champaud C. ; BJS
sept. 2009, n° 158, p. 773, note Saintourens B. ; Dr. sociétés 2009, comm. 179, note Mortier R.). Outre la réaction
individuelle, c'est vrai aussi des réactions collectives.
Par exemple, il faut bannir les lois de réaction disait
Carbonnier, ces lois qui ne font que répondre à l'événement traumatisant pour l'ordre social sans trop réfléchir
à l'art législatif. En somme, il faudrait savoir être réactif
sans réagir, ne jamais réagir mais toujours agir, c'est-àdire, agir, puis être à l'affût de l'événement, l'assimiler et
le mesurer, afin d'agir à nouveau.
Outre ce questionnement des ressorts de la psychologie
humaine, ce sont les failles du raisonnement humain et
de son intelligence que l'on est amené à tutoyer. MarieÈve Pancrazi l'a souligné d'emblée dans son rapport, la
seconde chance et plus largement l'adaptation sont l'aveu
direct de la faillibilité qui caractérise notre condition
humaine. Que dire d'ailleurs de la faillibilité des contractants ! Combien sont grands les écarts entre le contrat
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