Revue - Gazette du Palais - N°34 du 06 octobre 2020 - 57

G a z e tte Sp é cia lisée
A c t u al i t é
388r2

Textes
Succession et assurance-vie : un vide législatif permettant
une atteinte à la réserve héréditaire ? 388r2
Les sommes perçues au titre d'un contrat d'assurance-vie n'intégrant pas la succession du défunt,
cette situation peut conduire à priver les héritiers de tout ou partie de leur réserve héréditaire. Pour
limiter cette pratique, le législateur a recouru à la notion de « primes manifestement exagérées ».
Toutefois, dans une question écrite du 16 avril 2020 à l'attention du garde des Sceaux, le sénateur
Claude Malhuret soulève l'absence de définition législative et jurisprudentielle de cette notion et
l'inconstance des décisions de justice en la matière.
De longue date, la popularité de l'assurancevie s'explique par la possibilité, pour l'assuré, de
transmettre une partie de son patrimoine sans qu'il
intègre sa succession, faisant de ce mécanisme une voie
de transmission fiscalement avantageuse. En effet, le
capital ou la rente payable au décès de l'assuré ne feront
pas partie de sa succession (C. assur., art. L. 132-12).
Un époux peut donc facilement avantager son conjoint
ou même un tiers au détriment de ses enfants, héritiers
réservataires, en plaçant une grande partie de son
épargne sur un contrat d'assurance-vie. À l'ouverture
de la succession, le bénéficiaire du contrat aura un
droit direct et immédiat contre l'assureur, les sommes
étant réputées n'avoir jamais fait partie du patrimoine
du souscripteur. Il en résulte qu'elles ne figurent pas à
l'actif de la succession et ne sont pas prises en compte
pour le calcul de la réserve héréditaire. Les héritiers ne
peuvent solliciter ni le rapport desdites sommes à la
succession, ni leur réduction en cas d'atteinte à leur
réserve.
Afin de limiter les atteintes à la réserve héréditaire,
tout en conservant les avantages de l'assurancevie, le législateur a prévu l'exception des « primes
manifestement exagérées » (C. assur., art. L. 132-13,
al. 2). Toutefois, cette notion n'étant pas définie,
l'article L. 132-13 précisant seulement que le caractère
manifestement exagéré s'apprécie par rapport à
l'ensemble des facultés du souscripteur, elle est difficile
à appréhender.
La jurisprudence a donc posé deux critères principaux
pour qualifier l'exagération manifeste : l'âge et la
situation familiale du souscripteur, ainsi que sa
situation patrimoniale (1) :
* plus l'âge du souscripteur est avancé lors du
versement, plus l'objectif est transmissif et l'utilité
de l'opération d'assurance-vie paraît incertaine (2).

(1) 
Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, nos 03-13673, 02-17507, 02-11352
et 01-13592 ; Cass. 2e civ., 7 févr. 2008, n° 06-16373.
(2) Cass. 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-19458.

L'administration fiscale a d'ailleurs déjà considéré
que, lorsque le risque inhérent à la survie de l'assuré
est presque nul et que la souscription du contrat peut
s'apparenter à une libéralité au regard de la nature des
liens entre le souscripteur et le bénéficiaire, cela peut
être constitutif d'un abus de droit ;
* concernant la situation patrimoniale du souscripteur,
les juges du fond apprécient l'exagération après
une analyse globale de sa situation au moment du
versement des primes, et non au moment de son
décès (3). Généralement, ils comparent le montant des
primes avec les revenus et le capital du souscripteur.
Afin de démontrer le caractère excessif des primes
versées, les héritiers réservataires peuvent s'adresser
à la compagnie d'assurances pour obtenir le nom
du bénéficiaire et le montant versé, sans que celle-ci
puisse, a priori, leur opposer le secret professionnel (4).
Malheureusement, en pratique, les héritiers se heurtent
fréquemment au refus des compagnies. Dans ce cas,
il est opportun de saisir le juge des référés sur le
fondement de l'article 145 du Code de procédure
civile (5).
Si les héritiers réservataires obtiennent gain de cause, le
bénéficiaire conservera le capital décès issu du contrat
mais devra rapporter à la succession les primes jugées
exagérées.
Malgré les critères dégagés par la Cour de cassation,
la jurisprudence reste très fluctuante en la matière (6)
alors que la réserve héréditaire est d'ordre public
interne (7). Nous ne pouvons donc que considérer
qu'il serait effectivement opportun que le législateur
encadre davantage la notion de primes manifestement
exagérées.
(3) Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, nos 01-13592 et 02-17507 ; Cass. 2e civ., 5 juill.
2006, n° 05-15409 ; Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, n° 07-20544 ; Cass. 2e civ.,
12 mars 2009, n° 08-11980.
(4) CA Paris, 26 nov. 2008, n° 08/13018 ; CA Agen, 12 août 2009, n° 08/01474 ;
CA Nancy, 9 janv. 2012, n° 10/02521 ; CA Rennes, 6 janv. 2010, n° 08/06895.
(5) Cass. 2e civ., 17 juin 1998, n° 95-10563.
(6) Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, n° 09-67770 ; CA Paris, 22 févr. 2011,
n° 08/07086 ; Cass. 2e civ., 13 sept. 2012, n° 11-20756 ; Cass. 1re civ., 8 juill.
2010, n° 09-15291.
(7) Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, nos 1716-515 et 17-16522.
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