Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 15 septembre 2021 - 33

Actes de colloque
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LE DROIT DE LA CONCURRENCE INCARNÉ OU LES TROIS VISAGES DE L'ENTREPRISE
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L'entreprise citoyenne : vices et vertus de la compliance
L'essentiel
La compliance permet aux entreprises de jouer un rôle actif dans l'application efficace des règles de
concurrence. En détectant et prévenant les comportements infractionnels, les entreprises deviennent
acteurs de la régulation de leur propre activité. Cependant, bien que présentant de nombreuses vertus,
cet outil d'autorégulation comporte également certains « vices » qui entravent l'émergence de véritables
« entreprises citoyennes ». Cette étude vise à mettre en lumière les atouts et les défauts des régimes des
programmes de conformité.
Par
Loraine DONNEDIEU DE
VABRES-TRANIÉ
Avocate au barreau de
Paris, membre du conseil
d'administration de
l'association des avocats
pratiquant le droit de la
concurrence (APDC)
nvitées à devenir acteurs
de la régulation de leur
propre activité, les entreprises
assument aujourd'hui
une responsabilité sociétale
d'envergure qui inclue inévitablement
la protection de
l'ordre public concurrentiel
et des vertus qu'il offre aux
consommateurs. Au sein de
I
cette nouvelle « entreprise citoyenne », capable d'internaliser
des objectifs sociétaux plus larges que la seule
poursuite de ses intérêts économiques, l'on constate
l'émergence de programmes de conformité visant à assurer
de manière ex ante le respect des règles tant en
matière de corruption, que de protection des données
personnelles, ou encore de concurrence.
Cependant, si le choix de la compliance est effectué de
longue date dans le domaine de la concurrence, il demeure
qu'au-delà des vertus apparentes de la compliance (I), certains
« vices » persistent (II).
I. LES VERTUS DE LA COMPLIANCE
Outre les avantages traditionnels de la compliance (A, B,
C et D), cette nouvelle forme de régulation interne des
entreprises ne devient-elle pas un outil de co-régulation
et de dialogue avec les autorités (E) et ne pourrait-elle
pas devenir un outil de renforcement de l'efficacité économique
et de la compétitivité des entreprises (F) ?
A. Un outil de prévention des infractions
L'objectif premier de la compliance réside dans la prévention,
en amont, de toute infraction au droit de la
concurrence. Au-delà de la mise en œuvre d'une « pédagogie
concurrentielle » (1)
ou d'une culture de l'éthique et
de respect des règles au sein des entreprises (notamment
par le biais d'actions de formation et de sensibilisation),
il s'agit d'instaurer des mécanismes concrets et effectifs
(tels que des mécanismes de contrôle, d'audit, d'alerte
et de responsabilisation des acteurs de l'entreprise) afin
de garantir la parfaite conformité des activités avec la loi.
L'intérêt est de prévenir la mise en œuvre d'une « stratégie
perdante : une conquête commerciale reposant sur
une distorsion des règles de concurrence » (2)
notamment.
En empêchant la survenance de pratiques prohibées,
l'entreprise évite les risques qui en découlent. Un tel avantage
n'est nullement négligeable étant donné, au-delà du
risque réputationnel, le montant des amendes encourues
(en droit de la concurrence : 10 % du chiffre d'affaires
mondial hors taxe du groupe (3)
) et le développement du
private enforcement.
B. Un outil de détection précoce des infractions
L'objectif second de la compliance consiste à détecter immédiatement
les cas d'infractions. Selon l'Autorité de la
concurrence, les programmes de conformité constituent
ainsi des « outils majeurs de gestion des risques » (4)
. Pour
l'entreprise, il s'agit d'être capable d'identifier un comportement
anticoncurrentiel de manière précoce et d'y mettre
fin rapidement avant toute intervention de l'Autorité.
Cela permet de minimiser le risque de poursuites mais
également de réduire la durée de l'infraction prise en
compte dans le calcul du montant de l'amende. Cet avantage
paraît d'autant plus significatif que l'Autorité vient
d'alourdir la prise en compte de la durée et de supprimer
la méthode de calcul qui comptabilisait pour moitié les
années suivant la première année d'infraction : chaque
année pleine est désormais prise en compte (les périodes
de moins d'une année étant considérées au prorata
temporis) (5)
.
Il faut toutefois observer que cet « atout » de la compliance
est moindre depuis le retrait du document-cadre de 2012,
qui prévoyait initialement que si une entreprise contrevenante
dotée d'un programme de conformité découvrait
par elle-même une infraction non éligible à la procédure
de clémence, et y mettait fin spontanément, sans délai et
avant toute ouverture d'une enquête par l'Autorité, elle
pourrait bénéficier d'une circonstance atténuante dans le
calcul de l'amende.
(2) Aut. conc., « La conformité avec les règles de concurrence - Des outils et des
réflexes pour protéger les entreprises », 10 févr. 2012, p. 5.
NDA : Le style oral de l'intervention a été conservé.
(1) C. Prieto et D. Bosco, Droit européen de la concurrence, ententes et abus de position
dominante, 2013, Bruxelles, Bruylant, Droit de l'UE, n° 1443.
(3) C. com., art. L. 464-2.
(4) Aut. conc., « La conformité avec les règles de concurrence - Des outils et des
réflexes pour protéger les entreprises », 10 févr. 2012, p. 4.
(5) Aut. conc., « Communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions
», 30 juill. 2021, pt 34.
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