Les Carrés Rouge - L'essentiel des grandes décisions du Conseil constitutionnel 2017-2018 - 1re - 87

CHAPITRE 5 - Les effets des décisions du Conseil constitutionnel
5. Considérant que l'abrogation de l'article 90 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande est applicable à
toutes les infractions non jugées définitivement au jour de la publication de la présente décision ; que, par suite, à
compter de cette date, pour exercer la compétence que leur reconnaît le Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande, les tribunaux maritimes commerciaux siégeront dans la composition des juridictions pénales de droit commun,
Décide :
Article 1er.- L'article 90 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision
dans les conditions fixées par son considérant 5. »

■ Faits
L'une des premières décisions rendues par le Conseil constitutionnel en matière de QPC intéresse la composition des
tribunaux maritimes commerciaux. Cette juridiction est compétente - contrairement à ce que son nom laisse supposer
- pour juger les délits maritimes prévus par le Code pénal (le terme « commercial » a été supprimé en 2012). La particularité de ce tribunal est qu'il est composé de juges issus des « affaires maritimes » et soumis hiérarchiquement à cette
administration. Ce qui constitue, selon les requérants, à la fois une atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité du juge et au droit à un procès équitable. Sans surprise, le Conseil censure les dispositions en cause, mais en
même temps il aménage le droit applicable à partir de la censure en jugeant qu'« à compter de cette date, pour
exercer la compétence que leur reconnaît le Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, les tribunaux maritimes commerciaux siégeront dans la composition des juridictions pénales de droit commun ». D'un législateur
« négatif » (qui censure), le Conseil se transforme ici en législateur « positif » et écrit lui-même la nouvelle législation
applicable jusqu'à l'intervention du Parlement. Par quelle magie ?

■ Portée
Depuis 2008, le Conseil constitutionnel détient un redoutable pouvoir : il peut transformer, tordre la temporalité des
dispositions législatives invalidées en déplaçant le curseur de l'abrogation et en gommant plus ou moins la ligne de vie
de la loi censurée. Et ce faisant, il peut ajuster au mieux sa décision en fonction de la diversité des situations qui se
présentent à lui dans le contentieux de la QPC. Cette faculté de « moduler » la temporalité lorsqu'une censure est
prononcée est organisée par le second alinéa de l'article 62 de la Constitution.
Cette disposition distingue deux situations. La première est celle où le Conseil décide d'avancer, ou non, l'entrée en
vigueur de la décision d'abrogation. C'est la première question que se pose le juge lorsqu'il statue : à quel moment la
décision « prendra effet ». La deuxième situation est une variante. Dès lors que le juge a choisi la date de l'entrée en
vigueur de la décision - immédiate ou différée -, il doit faire un autre choix : l'abrogation frappe-t-elle les situations
passées, en cours et/ou à venir ? Il peut donc effacer, plus ou moins, les effets de la loi abrogée, voire même maintenir
ses effets pendant un certain temps.
En principe, les décisions du Conseil constitutionnel entrent en vigueur le jour de leur publication. Et concrètement, la
censure prononcée à l'occasion de cette décision est applicable à ce moment. Or justement, le premier pouvoir du
Conseil en matière de modulation réside dans la capacité de dissocier ces deux moments, c'est-à-dire de séparer la
date de la publication et la date de l'entrée en vigueur de la décision.
Il faut souligner que ce report de l'entrée en vigueur ne concerne pas seulement les décisions d'abrogation. Le Conseil
peut en effet reporter l'entrée en vigueur des réserves d'interprétation, sans même censurer la disposition à l'origine du
litige (par ex. nº 687 DC).

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