Carnet d'entraînement - Droit administratif général - L'activité administrative - Licence 2 - 1re - 42

Le cœur de ce sujet,
finalement très
classique, réside
dans l'opposition
entre « ordre public »
et « ordre moral ».
Il convient donc
de procéder à une
étude précise des
jurisprudences
concernées, en
n'oubliant jamais la
pensée d'Hauriou,
sujet de l'exercice.

L'important arrêt Société « Les films Lutétia », en 1959, constitue un tournant décisif
dans l'évolution de la notion d'ordre public. En l'espèce, le maire de Nice avait décidé d'interdire la projection d'un film sur le territoire de sa commune, alors même
que ce film avait reçu le visa ministériel national d'exploitation. Aux termes de cette
jurisprudence, une telle interdiction est légale dans deux situations : d'abord, si « la
projection est susceptible d'entraîner des troubles sérieux », ce qui correspond à la
conception classique de l'ordre public, tel que défini par Hauriou ; ensuite, s'il risque
« d'être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable
à l'ordre public » (CE, sect., 18 déc. 1959, Société « Les films Lutétia »). Cette seconde
option s'éloigne plus nettement de l'ordre matériel pour se rapprocher de l'ordre moral, bien que le Conseil prenne soin d'associer l'immoralité à l'ordre public. Une interprétation constructive permet de considérer que l'immoralité n'est que le vecteur qui
conduit, toujours, à l'identification d'un préjudice à l'ordre public, c'est-à-dire d'un
trouble matériel, ce que certaines décisions ultérieures ont pu confirmer. C'est ainsi
qu'en 1985, un arrêté semblable a été annulé, au motif qu'il « ne ressort pas des pièces
du dossier que cette projection, quel que fût le caractère de ce film, ait été de nature à porter
atteinte au bon ordre ou à la tranquillité publique dans la ville » (CE, 26 juill. 1985, Ville
d'Aix-en-Provence).
Toute l'ambiguïté de cette notion de « moralité publique » réside dans sa fonctionnalité contentieuse. Ce n'est pas l'immoralité qui justifie la mesure de police, c'est
le désordre matériel qu'elle crée, dans le cadre de circonstances propres à la localité
concernée, qui fonde la mesure. Dans ce sens, à propos de campagnes d'affichages
faisant la promotion de messageries « roses », le Conseil d'État a jugé « qu'en l'absence
de circonstances locales particulières, qui ne ressortent pas du dossier, le caractère immoral
desdites messageries, à le supposer établi, ne peut fonder légalement une interdiction de
toute publicité en leur faveur » (CE, 8 déc. 1997, Commune d'Arcueil).

Après une étude
détaillée de la
jurisprudence, qui
peut éloigner le propos
du sujet, la transition
doit être soignée,
pour maintenir la
démonstration dans
le cadre de l'exercice
demandé.

Si la définition d'Hauriou ne peut être maintenue, face à un tel mouvement jurisprudentiel, qu'au prix d'une interprétation particulièrement constructive, elle devient
intenable avec la consécration du respect de la dignité de la personne humaine comme
composante de l'ordre public.

B. Le dépassement par la reconnaissance
de la dignité de la personne humaine
Si la moralité publique demeurait rattachée à l'ordre public, plus ou moins directement, en imposant toujours l'existence ou le risque de troubles matériels et extérieurs à l'ordre public, la consécration de la dignité de la personne humaine comme
composante autonome de l'ordre public procède à un saut qualitatif renversant la
proposition d'Hauriou.
C'est à propos d'arrêtés municipaux interdisant les spectacles de « lancers de nains »
en discothèques que la notion a été mobilisée. Or, contrairement au mouvement
jurisprudentiel précédent, ce n'est pas à raison de circonstances locales particulières
ou d'un désordre matériel, même potentiel, que ces interdictions ont été prononcées. Les motifs au soutien des arrêtés municipaux sont parfaitement subjectifs et

Table des matières de la publication Carnet d'entraînement - Droit administratif général - L'activité administrative - Licence 2 - 1re