Les Carrés Rouges - L'essentiel des Grands arrêts de droit pénal et de procédure pénale 2017-2018 - 2e - 92

L'ESSENTIEL

DES

GRANDS

ARRÊTS DU

DROIT

PÉNAL ET DE LA

PROCÉDURE

PÉNALE

6 Cass. crim., 28 juin 1958, Lesage (état de nécessité)
Mais attendu qu'en limitant ses explications à cette pure affirmation, l'arrêt attaqué n'a pas justifié sa décision ; qu'en effet
les juges d'appel auraient dû démontrer, d'une part, que la manœuvre accomplie par le prévenu pouvait seule permettre
d'éviter l'accident qu'il redoutait, à l'exclusion de toute autre manœuvre moins périlleuse pour les tiers ; d'autre part, que
le risque hypothétique de blessures auquel sa femme et son enfant se trouvaient exposés, à défaut de cette manœuvre,
était de nature à entraîner des conséquences plus redoutables que le péril certain et très grave auquel, par cette
manœuvre, il a exposé les époux Le Goff ainsi que son propre passager ; qu'enfin il n'avait pas créé lui-même ce prétendu
état de nécessité en laissant sa femme et son enfant prendre place à ses côtés dans une voiture dont la portière était
sujette à s'ouvrir soit d'elle-même, soit par une fausse manœuvre de sa femme ou de son enfant. Par ces motifs, CASSE.

■ Faits
Pour une cause inconnue, la portière avant droite d'un véhicule s'ouvrit projetant l'épouse et l'enfant du conducteur
sur la chaussée. Celui-ci cherchant à les retenir de la main droite, braqua son volant à gauche afin d'éviter de les
écraser. Cette manœuvre provoqua une collision avec une voiture circulant en sens inverse. Les deux occupants de ce
véhicule ainsi qu'un passager de Lesage furent grièvement blessés. Poursuivi pour blessures et imprudence, Lesage,
tant en première instance qu'en appel, fut relaxé. Pour les juges du fond, la manœuvre opérée, qui avait évité un accident plus grave que celui objet de la poursuite, constituait une infraction au Code de la route mais ne relevait pas de
la loi pénale en raison de la nécessité dans laquelle le prévenu avait agi. L'arrêt de la Cour d'appel de Rennes est
cassé pour insuffisance de motif.

■ Portée
Lorsqu'un individu menacé d'un mal imminent ne peut échapper à ce mal qu'en commettant une infraction, il semble
juste de ne pas lui reprocher cette infraction. Cet état de nécessité ressemble étrangement à la légitime défense. Mais
à la grande différence de celle-ci par laquelle la victime de l'infraction est un agresseur, dans l'état de nécessité la
victime est un tiers innocent. Pourtant, malgré une histoire assez bien marquée, le Code de 1810 était resté silencieux
sur l'état de nécessité. Aussi la jurisprudence se montra-t-elle assez prudente, préférant, dans une telle situation,
raisonner sur la contrainte ou l'absence d'élément moral. On aura reconnu ici la célèbre affaire Ménard. Par deux décisions, rendues à quelques mois d'intervalle, les magistrats allaient saisir l'occasion de préciser les contours de l'état de
nécessité. Le premier jalon fut posé par l'arrêt Régina rendu par la Cour d'appel de Colmar le 6 décembre 1957. Les
magistrats alsaciens définissaient les conditions objectives de l'état de nécessité. L'arrêt Lesage poursuit la construction
en révélant les conditions subjectives du fait justificatif. La Chambre criminelle reproche ainsi aux juges du fond de ne
pas avoir dit en quoi Lesage avait utilisé le meilleur moyen pour éviter l'accident et en quoi l'intérêt sauvegardé était
supérieur à l'intérêt sacrifié. Sur ce dernier point, les commentateurs n'ont pas manqué de soulever de réelles objections. Jugé hypothétique, comme l'ont fait les juges du droit, le risque de blessures auquel la femme et l'enfant se
trouvaient exposés, est porter un jugement bien sévère sur la situation. Sur ces deux points, la cassation étant déjà
encourue, les magistrats, et c'est toute la portée de cet arrêt, en formulent un troisième. Pour la Chambre criminelle, il
convenait de rechercher si Lesage ne pouvait pas être à l'origine du fait reproché, du prétendu état de nécessité. Un
nouveau jalon est posé. La Chambre se place sur le terrain subjectif. L'individu qui revendique l'état de nécessité ne
doit pas avoir créé lui-même cette situation.
Aujourd'hui, l'état de nécessité a trouvé droit de cité dans le Code pénal. L'article 122-7 énonce « n'est pas pénalement responsable la personne qui, fasse à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien,

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