Les Carrés Rouges - L'essentiel des Grands arrêts du Droit international privé 2017-2018 - 2e - 108

L'ESSENTIEL

106

DES

GRANDS

ARRÊTS DU

DROIT

INTERNATIONAL PRIVÉ

2 Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, nº 13-50059
Si, selon l'article 5 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et
à la coopération judiciaire, les conditions de fond du mariage, telles que les empêchements, sont régies pour chacun des
futurs époux par la loi de celui des deux États dont il a la nationalité, son article 4 précise que la loi de l'un des deux États
désignés par la Convention peut être écartée par les juridictions de l'autre État si elle est manifestement incompatible avec
l'ordre public ; que tel est le cas de la loi marocaine compétente qui s'oppose au mariage de personnes de même sexe dès
lors que, pour au moins l'une d'elles, soit la loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a son domicile
ou sa résidence le permet ; (rejet)

■ Faits
Deux hommes résidant en France, l'un de nationalité française et l'autre de nationalité marocaine, ont décidé de se
marier peu après la promulgation de la loi nº 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même
sexe. Quelques jours avant la célébration de l'union, le ministère public a formé opposition au mariage en invoquant
la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, qui soumet les conditions de fond du mariage à la loi personnelle
de chacun des futurs époux. Le pourvoi formé par le procureur général contre l'arrêt accueillant la mainlevée de
l'opposition, formulée par les époux, a été rejeté.

■ Portée
Issu de la loi nº 2013-404 du 17 mai 2013, l'article 202-1 du Code civil dispose, en son alinéa 1er, que « les qualités et
conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle ».
Cette règle ne constitue qu'une consécration du principe dégagé par l'arrêt Busqueta (CA Paris, 13 juin 1814) qui a
bilatéralisé l'article 3, alinéa 3 du Code civil, lequel désigne aussi bien la lex fori que la loi étrangère.
L'alinéa 2 de l'article 202-1 de ce Code ajoute toutefois que « deux personnes de même sexe peuvent contracter
mariage lorsque, pour au moins l'une d'entre elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel
elle a son domicile ou sa résidence le permet ». Ce tempérament à l'application distributive de la loi nationale de
chacun des époux a une conséquence importante. En effet, la loi étrangère qui prohibe le mariage entre personnes de
même sexe doit être écartée par le jeu de l'exception d'ordre public. Cependant, cette disposition interne ne saurait
remettre en cause, de manière frontale, les diverses conventions bilatérales ratifiées par la France qui prévoient, en
matière de conditions de fond du mariage, l'application distributive de la loi nationale, ainsi que l'a rappelé une circulaire du 29 mai 2013. C'est le cas de l'article 5 de la Convention franco-marocaine qui a, conformément à la hiérarchie
des normes en vigueur dans l'ordre juridique français, une autorité supérieure à celle des lois. En vertu du célèbre arrêt
Jacques Vabre (Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Sté des cafés Jacques Vabre), le juge français est tenu d'écarter toute
disposition interne antérieure ou postérieure contraire à un traité.
Dans l'affaire largement médiatisée soumise à la cour d'appel de Chambéry, celle-ci ne pouvait donc pas affirmer « ne
pas reconnaître, en l'espèce, une supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des
normes » pour écarter la mise en œuvre de la Convention franco-marocaine. Pour éviter de censurer l'arrêt des juges
du fond, la Cour de cassation procède par substitution de motifs. Si la Convention franco-marocaine était certes applicable au litige, son article 4 indique toutefois que « la loi de l'un des deux États désignés par la convention peut être
écartée par les juridictions de l'autre État si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public ». La réserve ainsi
formulée permet la mise à l'écart de la loi marocaine prohibitive au nom de la sauvegarde de valeurs fondamentales
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