Les Carrés Rouges - L'essentiel des Grands arrêts du Droit international privé 2017-2018 - 2e - 110

L'ESSENTIEL

108

DES

GRANDS

ARRÊTS DU

DROIT

INTERNATIONAL PRIVÉ

3 Cass. 1re civ., 24 sept. 2002, nº 00-15789
La cour d'appel a décidé exactement que, si le mariage contracté à l'étranger en état de bigamie pour l'un ou les deux
époux n'est pas obligatoirement nul en France, c'est à la condition que les lois nationales de chacun d'eux autorisent la
bigamie ; qu'elle a constaté que Mme Z. était française depuis 1985 et se trouvait donc soumise aux dispositions de
l'article 147 du même Code [Code civil] qui édictent un empêchement au mariage justement qualifié de bilatéral et
absolu ; que, par ces seuls motifs, elle a légalement justifié sa décision ; (rejet)

■ Faits
En 1985, deux Libanais se sont mariés au Liban selon le rite maronite. En 1994, le mari devenu musulman sunnite a
épousé, au Caire, une Française sans que le mariage célébré en 1985 soit préalablement dissous. Le procureur de la
République a demandé l'annulation du second mariage. Les juges du fond ont considéré que ce mariage n'avait pas
d'effet en France. Les époux ont formé un pourvoi.

■ Portée
Le principe de l'application de la loi personnelle aux conditions de fond du mariage a été initialement formulé par la
jurisprudence sur le fondement de la bilatéralisation de l'article 3, alinéa 3 du Code civil. Il fait depuis l'objet d'une
consécration légale à l'article 202-1 du Code civil.
Les demandeurs au pourvoi affirmaient que l'interdiction de contracter un second mariage avant la dissolution du
premier constituait un empêchement unilatéral. Cette argumentation avait pour objectif de démontrer la validité du
second mariage par une application distributive de la loi nationale de chaque époux. Le statut personnel du mari autorisait la polygamie. Quant à l'épouse, celle-ci n'était pas déjà engagée dans le mariage. L'épouse remplissait toutes les
conditions posées par la loi française. Le second mariage était donc régulier au regard de cette analyse, qui conduit à
l'application de la loi de chaque époux aux conditions les concernant personnellement.
Même si une telle analyse a été défendue en doctrine, ce point de vue est resté très minoritaire. La doctrine optait
plutôt pour la qualification d'empêchement bilatéral. Dans l'arrêt du 24 septembre 2002, la Cour de cassation consacre
pour la première fois cette qualification. Elle y affirme que la prohibition de l'article 147 du Code civil constitue un
empêchement « bilatéral et absolu ». La monogamie prescrite par la loi française ne concerne pas uniquement le futur
époux qui a la nationalité française. L'interdiction de la bigamie s'étend aux deux époux par une application cumulative
de leurs lois personnelles. Les exigences de la loi la plus stricte, parmi les deux en présence, prévalent. Dès lors, le
mariage contracté par une Française avec une personne déjà mariée est entaché de nullité. Le caractère d'ordre public
international du principe monogamique justifie la solution.
Pour tempérer les rigueurs de la nullité du mariage, le mécanisme de la putativité peut intervenir. Les demandeurs au
pourvoi reprochaient d'ailleurs aux juges du fond de leur en avoir refusé le bénéfice. L'arrêt Veuve Moreau de 1956
(Cass. civ., 6 mars 1956) a énoncé que la loi ayant permis le prononcé de la nullité du mariage régit les effets de celuici. C'était donc à la loi française, en tant que loi de la condition violée, de déterminer si des tempéraments peuvent
être apportés à la nullité. Aux termes de l'article 201 du Code civil, seul l'époux de bonne foi peut bénéficier du
mariage putatif.
Au soutien de leur bonne foi invoquée, les époux prétendaient avoir ignoré tous deux « que l'interdiction de polygamie
édictée à l'article 147 du Code civil avait le caractère d'un empêchement bilatéral affectant la validité d'un mariage
célébré à l'étranger ». Mais cet argument n'a guère convaincu les juges du fond, à qui il appartient d'apprécier

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