Les Carrés Rouges - L'essentiel des Grands arrêts du Droit international privé 2017-2018 - 2e - 143

CHAPITRE 8 - Le droit patrimonial de la famille
l'unité de la succession mise à mal par la règle scissionniste française, qui se réfère, pour les biens meubles, à la loi du
dernier domicile du défunt.
Ultérieurement, l'arrêt Riley du 11 février 2009 a subordonné le jeu du renvoi à l'obtention d'un résultat déterminé. Il
doit permettre d'appliquer une même loi aux meubles et immeubles dépendant de la succession, et donc d'assurer
l'unité successorale. Ce renvoi « conditionnel » (Péroz H., JDI 2009, p. 569) ou « opportuniste » (Ancel B., Rev.
crit. DIP 2009, p. 515) est largement novateur. Jusqu'alors, aucune autre fonction que celle du règlement des conflits
de systèmes n'avait été assignée à ce mécanisme. L'économie du renvoi s'en trouve bouleversée, puisqu'il est
désormais au service d'objectifs précis.
Restait à déterminer si l'admission du renvoi à la loi française allait entraîner « un phénomène d'absorption de la
compétence judiciaire par la compétence législative » (Gaudemet-Tallon H., JDI 2007, p. 131), ainsi que cela avait été
suggéré par la doctrine. L'arrêt Tassel du 23 juin 2010 a statué sur cette question en opérant un revirement de
jurisprudence. Il était de longue date acquis que les tribunaux français étaient incompétents pour régler la succession
d'un immeuble situé à l'étranger. L'arrêt Tassel revient sur ce principe d'incompétence, qui avait été posé par le
célèbre arrêt Nagalingampoullé (Cass. civ., 5 juill. 1933). L'admission de la compétence des tribunaux français pour le
règlement de la succession d'un immeuble situé à l'étranger est justifiée, selon la Cour de cassation, « par l'effet » du
renvoi de la loi étrangère à la loi du for. Dans l'arrêt Tassel, la Cour de cassation prend soin de rappeler que la cour
d'appel a constaté que la loi espagnole renvoie, tant pour les meubles que les immeubles, à la loi nationale du
défunt. La succession de ce dernier comportait deux immeubles, l'un en France et l'autre en Espagne. Le renvoi à la
loi française a été accepté pour les deux immeubles, même celui situé en Espagne. De manière plus classique, le
renvoi a également été admis de la loi espagnole à la loi française pour les meubles du défunt. Les juges français se
sont reconnus compétents pour connaître de l'ensemble de la succession régie par la loi française.
Toutefois, cette compétence n'est pas sans limite, puisqu'elle n'a pas d'emprise sur « les opérations juridiques et matérielles découlant de la loi réelle de situation de l'immeuble », et sur la détermination de la propriété d'un bien immobilier (Cass. 1re civ., 25 mai 2016, nº 15-16935). Ces limitations sont opportunes. Ces opérations sont en lien avec une
éventuelle attribution préférentielle ou vente d'un immeuble dépendant de la succession. Ces questions ne peuvent, à
l'évidence, que relever de la lex rei sitae. Les opérations liées à la transmission du bien continuent de relever de la lex
rei sitae tandis que la dévolution, les opérations de liquidation et de partage sont soumises à la loi successorale.
Même si tout morcellement successoral est évité, l'acceptation du renvoi pour l'immeuble situé à l'étranger est
discutable, d'autant plus que, dans l'affaire Tassel, le dernier domicile du défunt était situé en Espagne. L'unité
successorale est probablement au service de la recherche d'une égalité entre héritiers s'agissant de la réserve. Cette
limitation vient tempérer une compétence critiquable des juges français, car elle est fondée sur le renvoi à la loi
française. La compétence juridictionnelle dérive de la compétence législative, au risque de créer une confusion entre
les deux types de règles.
Le recours au renvoi masque l'inadéquation d'un rattachement dualiste en matière successorale. Est-ce à dire pour
autant qu'un rattachement unitaire s'avère plus approprié et dispenserait d'une utilisation de cet expédient ? La
lecture de l'article 34 du règlement nº 650/2012 du 4 juillet 2012 laisse entendre le contraire, mais pour des motivations différentes. Sous réserve de quelques cas d'exclusion, le renvoi à la loi d'un État membre ou d'un État tiers a un
caractère obligatoire selon le règlement. Le considérant 57 de ce texte précise que le renvoi a pour objectif de garantir
une cohérence au niveau international, mais il s'agit surtout de faciliter la tâche du juge saisi en lui évitant d'appliquer
une loi étrangère. Bien évidemment, ce mécanisme est exclu dans l'hypothèse où le défunt a fait un choix de loi en
vertu de l'article 22 du règlement. Dans le cas contraire, l'admission du renvoi déjouerait les prévisions du de cujus et
ne donnerait aucun intérêt à la professio juris.

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