Les Carrés Rouges - L'essentiel des Grands arrêts du Droit international privé 2017-2018 - 2e - 170

L'ESSENTIEL

168

DES

GRANDS

ARRÊTS DU

DROIT

INTERNATIONAL PRIVÉ

8 CJUE, 25 oct. 2011, nos C-509/09, eDate Advertising
et C-161/10, Martinez
[...] en cas d'atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet, la
personne qui s'estime lésée a la faculté de saisir d'une action en responsabilité, au titre de l'intégralité du dommage
causé, soit les juridictions de l'État membre du lieu d'établissement de l'émetteur de ces contenus, soit les juridictions de
l'État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts. Cette personne peut également, en lieu et place d'une
action en responsabilité au titre de l'intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque
État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l'a été. Celles-ci sont compétentes pour
connaître du seul dommage causé sur le territoire de l'État membre de la juridiction saisie.

■ Faits
La CJUE a joint deux demandes préjudicielles, l'une émanant du Bundesgerichtshof allemand, l'autre du tribunal de
grande instance de Paris. Dans les deux affaires, les demandeurs invoquaient une atteinte à leur vie privée en raison
d'informations les concernant publiées sur Internet.
Dans l'affaire eDate Advertising, la société autrichienne gérant le portail Internet sur lequel ont été postées les informations litigieuses a contesté la compétence des juridictions allemandes.
Dans l'affaire Martinez, le propriétaire du journal britannique en cause s'est opposé à la compétence du juge français.

■ Portée
L'article 5-3º du règlement Bruxelles I (Règl. Bruxelles I bis, art. 7-2º) énonce qu'une « personne domiciliée sur le territoire
d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre [...] en matière délictuelle ou quasi-délictuelle devant
le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ». La mise en œuvre de ce texte
suscite des difficultés en matière de localisation des délits commis sur Internet. L'interprétation préjudicielle de la Cour
de Justice était donc attendue.
La cour procède à une adaptation de la solution retenue dans l'arrêt Fiona Shevill (CJCE, 7 mars 1995, nº C-68/93).
Cette affaire était relative à un cas de diffamation commis au moyen d'un article de presse imprimé et diffusé dans
plusieurs États membres. Aux termes de cet arrêt, les juridictions du lieu de l'établissement de l'éditeur de la publication sont compétentes pour réparer l'intégralité des dommages. Les juridictions du lieu de diffusion ne peuvent, quant
à elle, connaître que des seuls dommages causés dans le for.
Adaptant ces deux critères de rattachement aux cyberdélits, la Cour de Justice y ajoute un troisième critère ayant reçu
un accueil très favorable de la doctrine. Le lieu de l'établissement de l'éditeur est remplacé par celui de l'émetteur des
contenus litigieux publiés sur Internet. Il constitue le lieu du fait générateur. Le lieu d'accessibilité des contenus s'est
substitué à celui de diffusion en tant que lieu de survenance du dommage. Jusque-là, l'arrêt s'inscrit dans la lignée de
l'option offerte par le célèbre arrêt Mines de Potasse d'Alsace (CJCE, 30 nov. 1976, nº 21/76). Mais cette option est
dépassée par l'introduction d'un for supplémentaire correspondant au « centre des intérêts de la victime ». Ce centre
s'identifiera, dans la plupart des cas, au lieu de la résidence habituelle de la victime. Est ainsi ouvertement consacré un
forum actoris.
Les spécificités d'Internet ainsi que les exigences de bonne administration de la justice et de prévisibilité des règles de
compétence motivent la solution de la Cour. Ce « for de protection » (Guiziou G., JDI 2012, p. 205) ou ce « for personnaliste » (Muir Watt H., Rev. crit. DIP 2012, p. 404) permet « à la fois au demandeur d'identifier facilement la juridiction

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