Les Carrés Rouges - L'essentiel des Grands arrêts du Droit international privé 2017-2018 - 2e - 64

L'ESSENTIEL

DES

GRANDS

ARRÊTS DU

DROIT

INTERNATIONAL PRIVÉ

4 Cass. civ., 24 juin 1878, Forgo
Attendu que, suivant le droit bavarois, les meubles, corporels ou incorporels, sont régis par la loi de situation, combinée en
matière de successions, avec la loi du domicile de fait ou résidence habituelle du défunt ;
Qu'il suit de là que, même en admettant, ainsi que l'a décidé l'arrêt attaqué, que Forgo ait conservé la nationalité bavaroise, la dévolution héréditaire des biens meubles qu'il possédait en France, où il s'était fixé, doit être régie par la loi française ; (cassation)

■ Faits
Enfant naturel bavarois venu en France à l'âge de 5 ans, M. Forgo y décède à 68 ans sans jamais y avoir été admis à
domicile et en laissant une fortune considérable de nature mobilière. Un litige a opposé les collatéraux du défunt à
l'administration française des domaines. Les premiers prétendaient que la succession leur revenait en vertu de la loi
bavaroise. L'administration française revendiquait, quant à elle, l'application de la loi française, qui n'appelait alors à la
succession de l'enfant naturel que ses frères et sœurs naturels. Par conséquent, au regard du droit français, la succession était vacante. Conformément à la règle de conflit française applicable à l'époque, les juges du fond ont appliqué
la loi bavaroise. Le pourvoi formé par l'administration des domaines a été accueilli par la Cour de cassation.

■ Portée
Lorsque la règle de conflit du for désigne un droit étranger dont la règle de conflit désigne elle-même une autre loi,
nous sommes en présence d'un conflit de systèmes. Ce dernier a sa source dans des facteurs de rattachements différents. Aucun des systèmes en présence ne se reconnaît compétent. Il en résulte un conflit négatif, dans la mesure où
chacune des règles de rattachement en cause attribue compétence à l'autre loi en présence.
Dans la célèbre affaire Forgo, la règle de conflit bavaroise désignait la loi du domicile de fait, donc la loi française. Les
juges français ont ainsi pris en compte la règle de conflit bavaroise, ce qui les a conduits à mettre en œuvre la loi française, de telle sorte que c'est finalement l'État français qui a hérité des valeurs mobilières litigieuses. À l'initiative de la
jurisprudence française est né ce qui a ensuite été appelé le renvoi. Ce mécanisme a été à l'origine de l'une des plus
fameuses controverses doctrinales que le droit international privé français ait connu (Batiffol H. et Lagarde P., Traité de
droit international privé, T. 1, 8e éd., 1993, LGDJ, nº 299).
L'utilisation de ce mécanisme sera ultérieurement justifiée de la façon suivante : « la loi française de droit international
privé ne souffre d'aucune manière du renvoi qui est fait à la loi interne française par la loi de droit international privé
étrangère, qu'il n'y a qu'avantage à ce que tout conflit se trouve ainsi supprimé et à ce que la loi française régisse
d'après ses propres vues des intérêts » qui naissent sur son territoire (Cass. req., 9 mars 1910, Soulié). L'intérêt du
procédé vise donc à permettre au juge français d'appliquer sa propre loi, qu'il connaît à l'évidence mieux qu'une loi
étrangère. Deux types de renvoi sont utilisés par les juges. Celui qui se dégage de l'arrêt Forgo correspond au renvoi
au premier degré, qui désigne la loi du for. Par l'arrêt de Marchi, rendu dans une affaire qui concernait un renvoi au
premier degré, la Cour de cassation a accepté le principe d'un renvoi au second degré en affirmant que le renvoi
« fait par la loi nationale d'un étranger à la législation successorale d'un autre État pouvant être, le cas échéant, la
législation française » a un caractère obligatoire (Cass. civ., 7 mars 1938, de Marchi).
Le renvoi n'est pas qu'un instrument de coordination des systèmes, une analyse fonctionnelle du renvoi s'est développée. Il intervient en tant que correctif de la règle de conflit française s'il permet d'atteindre certains objectifs,

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