Les Carrés Rouges - L'essentiel des Grands arrêts du Droit international privé 2017-2018 - 2e - 74

L'ESSENTIEL

DES

GRANDS

ARRÊTS DU

DROIT

INTERNATIONAL PRIVÉ

9 Cass. civ., 18 mars 1878, Princesse de Bauffremont
[...] La demanderesse avait sollicité et obtenu cette nationalité nouvelle, non pas pour exercer les droits et accomplir les
devoirs qui en découlent, en établissant son domicile dans l'État de Saxe-Altenbourg, mais dans le seul but d'échapper
aux prohibitions de la loi française en contractant un second mariage, et d'aliéner sa nouvelle nationalité aussitôt qu'elle
l'aurait acquise ; qu'en décidant, dans ces circonstances, que des actes ainsi faits en fraude de la loi française et au mépris
d'engagements antérieurement contractés en France n'étaient pas opposables au prince de Bauffremont, l'arrêt attaqué a
statué conformément au principe de la loi française sur l'indissolubilité du mariage [...] ; (rejet)

■ Faits
Une Belge est devenue française après son mariage contracté en France avec un Français, le prince de Bauffremont.
Séparée de corps de son mari, la princesse de Bauffremont obtient une naturalisation dans le duché allemand de SaxeAltenbourg. Contrairement à la loi française de l'époque, la loi allemande considère les époux séparés de corps comme
divorcés. La princesse s'est alors remariée à Berlin avec un Roumain, le prince Bibesco. Toujours marié avec la princesse
qui en a épousé un autre, le prince de Bauffremont a demandé au juge français l'annulation de la naturalisation et du
second mariage contracté par son épouse. Les actes litigieux n'ont pas été jugés opposables au prince de Bauffremont.

■ Portée
L'arrêt de Bauffremont est certainement l'un des plus fameux du droit international privé. Une fraude à la loi y est
sanctionnée suivant l'adage fraus omnia corrumpit. L'auteur de la fraude manipule l'élément de rattachement de la
règle de conflit pour obtenir l'application d'une autre loi que celle normalement compétente. En matière de statut
personnel, le rattachement à la nationalité peut inciter une personne à en changer pour rendre applicable une loi qui
lui est plus favorable.
En l'espèce, la naturalisation de la princesse de Bauffremont constitue l'élément d'extranéité de la situation litigieuse
qui, à l'origine, était exclusivement interne. Cet élément a déclenché le conflit de lois. Mais la modification de l'élément de rattachement n'a pas trompé les juges, qui l'ont considérée comme artificielle. Les éléments de la fraude
apparaissent clairement à la lecture de la décision. Le changement de nationalité constitue l'élément matériel. Pour
être frauduleux, ce changement doit être motivé par la volonté de se soustraire à la loi normalement compétente.
Comme l'ont constaté les juges, l'obtention de la nationalité allemande par la princesse de Bauffremont n'avait pas
pour objectif d'exercer les droits et obligations découlant de cette nouvelle nationalité. Dans le cas contraire, il n'y
aurait pas eu de fraude.
L'élément intentionnel s'identifie à l'aide du « seul but » poursuivi par le fraudeur. La naturalisation visait la recherche
d'un avantage déterminé : être considéré comme divorcé du fait de la séparation de corps. La véritable intention de la
princesse était d'échapper à l'indissolubilité du mariage édictée par la loi française. La célébration du second mariage à
l'étranger constitue un indice de la volonté de contourner une prohibition du droit français. L'élément légal correspond
à la disposition impérative à laquelle l'auteur de la fraude tente d'échapper. Ces différents éléments ont été repris par
la Cour de cassation dans l'arrêt Lafarge. Aux termes de cet arrêt, il y a fraude lorsque les parties ont volontairement
« modifié le rapport de droit dans le seul but de se soustraire à la loi normalement compétente » (Cass. 1re civ., 17 mai
1983, nº 82-11290). Si les juges français ont généralement sanctionné des cas de fraude à la loi française, des
hypothèses de fraude à la loi étrangère ne sont pas exclues.

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