Les Carrés Rouge - L'essentiel de la philosophie du droit - 2e - 64

L'ESSENTIEL

DE LA PHILOSOPHIE DU DROIT

b) La norme et la proposition de droit
Dans la théorie des actes de langage, on distingue en effet depuis le sémioticien Charles Morris
(1901-1979), la sémantique de la pragmatique. Tandis que la première étudie ce que signifie
l'énoncé, la seconde s'intéresse à ce que fait le locuteur en énonçant l'énoncé. Mais c'est au
philosophe d'Oxford des années cinquante, John Langshaw Austin (1911-1960), que l'on doit les
développements les plus conséquents sur cette distinction, ainsi qu'à son élève américain John
Searle (Austin J.-L., Quand dire, c'est faire (How to do things with words), 1970, Paris, Éditions
du Seuil ; Searle J. R., Les actes de langage, 1972, Paris, Herman, Savoir).
Pour prendre un exemple trivial, la dimension pragmatique de l'énoncé aux termes duquel le
professeur dit à son étudiante qu'« il fait beau » permet à celle-ci de comprendre qu'il lui fait la
cour puisqu'il fait beau au point de pouvoir aller boire un café. D'un point de vue sémantique, la
phrase porte sur un fait météorologique. D'un point de vue pragmatique, elle est une invitation
voire une incitation indécente qui la range dans la catégorie des énoncés prescriptifs. De même,
selon le célèbre exemple cité par Austin dans son ouvrage Quand dire c'est faire, quand une
personne affirme « le chat est sur le paillasson », elle énonce une phrase qui peut avoir pour fonction pragmatique, par-delà sa façade grammaticalement descriptive, de consoler son interlocuteur
(et de lui assurer que le chat a été retrouvé), de le renseigner, de lui faire un reproche (celui
d'avoir laissé le chat sans surveillance et de l'avoir fait salir l'appartement), etc.
Imaginons maintenant qu'une mère met en garde son enfant en lui expliquant que s'il pose sa
main sur la plaque chauffante de la cuisine, il se brûlera. Cet autre exemple a été évoqué par
Kelsen au chapitre 42 de la Théorie générale des normes (Kelsen H., Théorie générale des
normes, 1996, PUF, Léviathan, trad. Beaud O. et Malkani F., p. 221). Ne tirant pas les
enseignements de la pragmatique austinienne, celui-ci conclut au caractère strictement indicatif
de l'énoncé de la mère. Pourtant, l'exemple démontre à merveille qu'il s'agit en réalité, par-delà
sa structure grammaticale purement descriptive, d'un énoncé prescriptif à l'aide duquel une mère
attentionnée et peu encline à utiliser des formules à teneur autoritaire, fait appel à l'intelligence
de son fils pour l'inciter à ne pas mettre sa main sur la plaque chauffante. Le contexte dans
lequel est proférée une telle phrase amène évidemment à penser que d'un point de vue
pragmatique, elle ne saurait se comprendre comme un énoncé scientifique invitant l'enfant à
vérifier sa véracité en posant sa main sur la plaque chauffante au risque stupide de se brûler.
Nonobstant sa dimension formellement descriptive, elle est sur le plan pragmatique une
recommandation, voire un ordre.
Kelsen a très peu utilisé les ressources de la théorie du langage dans sa réflexion épistémologique.
Mais s'il était conscient de l'existence d'énoncés qui sont normatifs d'un point de vue pragmatique tout en étant conjugués à l'indicatif présent (tel est le cas de la norme du type : « Nous

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