Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit des obligations - 10e - 101

L'ESSENTIEL

100

DES

GRANDS

ARRÊTS DU DROIT DES OBLIGATIONS

2 Cass. civ., 21 novembre 1911
Vu l'article 1134 du Code civil ; (...)
Que, vainement, l'arrêt attaqué déclare que les clauses des billets de passage de la Compagnie Transatlantique, notamment l'article 11, ne régissent que le contrat de transport proprement dit et les difficultés pouvant résulter de son exécution, et qu'en réclamant une indemnité à la Compagnie pour la blessure qu'il avait reçue, Y agissait contre elle non "en
vertu de ce contrat et des stipulations dont il lui imputait la responsabilité" ;
Que l'exécution du contrat de transport comporte, en effet, pour le transporteur l'obligation de conduire le voyageur sain
et sauf à destination, et que la cour d'Alger constate elle-même que c'est au cours de cette exécution et dans des circonstances s'y rattachant, que Y a été victime de l'accident dont il poursuit la réparation ; (...) (cassation)

■ Faits
Un voyageur embarqué sur un paquebot de la Compagnie Générale Transatlantique est grièvement blessé au pied par
la chute d'un tonneau mal arrimé. Alors qu'il réclame à la compagnie une indemnité devant le tribunal civil de Bône,
celle-ci lui oppose la clause du billet de passage qui attribue compétence exclusive au tribunal de commerce
de Marseille pour connaître des difficultés auxquelles l'exécution du contrat de transport pourrait donner lieu. La cour
d'Alger refuse cependant de donner effet à la clause, jugeant que les clauses des billets ne régissent que le transport
proprement dit et les difficultés pouvant résulter de son exécution. La compagnie se pourvoit alors en cassation.

■ Portée
En cassant l'arrêt de la cour d'Alger qui avait refusé de donner effet à une clause attributive de compétence au motif
que le passager, victime d'un accident corporel, n'agissait pas contre son transporteur en vertu du contrat mais à
raison d'un quasi-délit, la Cour de cassation a rendu une importante décision qui consacre, pour la première fois, l'existence d'une obligation de sécurité de nature contractuelle. Il fallait y penser : le contrat de transport recèle une obligation « cachée », pour le transporteur, de conduire le voyageur sain et sauf à destination !
D'un point de vue technique, on observe que la Cour vise l'ancien article 1134 du Code civil, comme si la bonne foi
pouvait avoir une « fonction complétive », alors qu'elle n'est en principe qu'une norme de comportement (Deshayes,
Genicon et Laithier, op. cit., p. 49). Il eut été plus judicieux, en vérité, de viser l'ancien article 1135 (et la jurisprudence
le fera très souvent par la suite), car celui-ci indiquait très directement que « les conventions obligent non seulement à
ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa
nature ».
En opportunité, la solution nourrit de vrais débats. Depuis Josserand, beaucoup voient dans ce genre de jurisprudence
un « forçage » du contrat, tant il est vrai que l'obligation de ne pas causer de dommage à autrui est un devoir qui
s'applique à tous (Viney, Jourdain et Carval, Les conditions de la responsabilité, 4e éd., 2013, LGDJ, nº 501-1). Cet élargissement de la sphère contractuelle est acceptable quand il joue son rôle de « complément d'équité » (Bénabent, op.
cit., nº 292), c'est-à-dire quand il améliore la situation des victimes. Tel était le cas dans en l'espèce, où les juges
avaient consacré une obligation de sécurité de résultat qui permettait, en fait, d'éluder l'application, plus rigoureuse à
l'époque, des règles de la responsabilité délictuelle pour faute. Mais ce même élargissement devient critiquable quand
il entraîne une régression dans la protection des victimes. C'est qu'avec le développement contemporain des
responsabilités délictuelles objectives, l'obligation de sécurité devient souvent pénalisante, surtout si la juge la qualifie
d'obligation de moyens et non de résultat (Mazeaud, note D. 2017, p. 198).
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