Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit des obligations - 10e - 51

L'ESSENTIEL

DES

GRANDS

ARRÊTS DU DROIT DES OBLIGATIONS

1 Cass. 1re civ., 22 février 1978, nº 76-11551
Vu l'article 1110 du Code civil ;
(...) les époux Saint-Arroman ayant demandé la nullité de la vente pour erreur sur la qualité substantielle de la chose
vendue, la cour d'appel, estimant qu'il n'était pas prouvé que le tableau litigieux fut une œuvre authentique de Poussin,
et qu'ainsi l'erreur alléguée n'était pas établie, a débouté les époux Saint-Arroman de leur demande ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, au moment de la vente, le consentement des vendeurs n'avait pas été vicié par
leur conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être une œuvre de Nicolas Poussin, la cour d'appel n'a pas donné
de base légale à sa décision ; (cassation)

■ Faits
Les époux Saint-Arroman avaient chargé un commissaire-priseur de la vente d'un tableau attribué après expertise à
« l'École des Carraches ». La Réunion des Musées nationaux exerça son droit de préemption puis présenta le tableau
comme une œuvre originale de Nicolas Poussin. Les époux Saint-Arroman demandèrent alors la nullité de la vente
pour erreur sur la substance.
Déboutés par la cour d'appel, ils formèrent un pourvoi en cassation.

■ Portée
On ne devine pas, à la seule lecture des textes actuels, que le droit français des vices du consentement, et de l'erreur
en particulier, doit beaucoup au contentieux des œuvres d'art. L'affaire Poussin, qui est ici relatée, en constitue probablement l'épisode le plus remarquable. En censurant, sous le visa de l'ancien article 1110 (relatif à l'erreur), les juges du
fond qui avaient refusé d'annuler, à la demande des cédants, la vente du tableau de Nicolas Poussin, la Cour de cassation a posé plusieurs règles importantes, dont certaines trouvent écho dans le Code civil rénové.
Premier point : la possibilité, pour une partie, de se tromper sur sa propre prestation. La Cour suggère, en effet, que la
vente pouvait être annulée en raison de la conviction erronée des vendeurs. Cette forme d'erreur est certainement plus
rare en pratique que celle portant sur la contre-prestation, surtout lorsqu'elle n'est pas provoquée par un dol. Elle est
aussi plus difficile à admettre au plan juridique, dès lors qu'elle pourra être considérée, la plupart du temps, comme
inexcusable. Mais l'arrêt montre que le cas n'est pas inenvisageable, et qu'il serait excessif de s'y opposer par principe
alors qu'il arrive que l'erreur ne procède d'aucune négligence (Terré, Simler et Lequette, op. cit., nº 218). Pour preuve,
en l'espèce, les vendeurs n'avaient fait que se fier à une expertise préalable. Il est donc logique que cette forme
d'erreur soit aujourd'hui pleinement reconnue par le nouvel article 1133, alinéa 2, du Code civil.
Deuxième point : le doute sur l'authenticité de l'œuvre d'art. Il est évident que l'authenticité puisse être, pour une
œuvre d'art, une qualité substantielle (ou « essentielle », selon le nouvel article 1133), de sorte que l'erreur soit constituée lorsque celle-ci est absente. Mais que décider lorsque cette authenticité est incertaine ? Les juges du fond en
avaient déduit que l'erreur ne pouvait être établie (pas d'authenticité, pas d'erreur !). La Cour de cassation rejette ce
raisonnement binaire : il fallait se demander si les vendeurs n'avaient pas eu la conviction erronée que le tableau « ne
pouvait pas être » un original. C'est dire que s'ils l'avaient cru, alors que tel n'était pas le cas (l'authenticité n'était pas
absente mais seulement douteuse), l'erreur devait être admise. Peu importe, en somme, que la réalité soit incertaine
(Fabre-Magnan, op. cit., nº 342 ; Terré, Simler et Lequette, op. cit., nº 217) !
Dernier point : la date d'appréciation de l'erreur. La première chambre civile invite les juges à rechercher si, « au
moment de la vente », donc au jour du contrat, le consentement n'a pas été vicié. Cela ne semble pas révolutionnaire

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