Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit des obligations - 10e - 67

L'ESSENTIEL

DES

GRANDS

ARRÊTS DU DROIT DES OBLIGATIONS

2 Cass. ass. plén., 29 octobre 2004, nº 03-11238
Vu les articles 900, 1131 et 1133 du Code civil ;
Attendu que n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l'occasion d'une
relation adultère ; (...) (cassation)

■ Faits
Âgé de 95 ans, un homme marié institue une jeune femme de 64 ans sa cadette, Mlle Galopin, légataire universelle par
testament authentique. Après son décès, la jeune femme introduit une action en délivrance du legs. La veuve du testateur et sa fille sollicitent évidemment l'annulation de ce legs. Avec succès devant la cour d'appel qui, ayant refusé de
s'incliner à la suite d'une première cassation, retient que le legs n'a eu vocation qu'à rémunérer les faveurs de la
jeune femme et qu'il est de ce fait contraire aux bonnes mœurs. Mlle Galopin forme alors un nouveau pourvoi.

■ Portée
Les auteurs de la réforme de 2016-2018 n'ont pas précisé que la liberté contractuelle ne permettait pas de déroger
aux lois qui intéressent les bonnes mœurs. Certes, la notion de bonnes mœurs n'a pas pour autant disparu des textes,
puisque l'article 6 du Code civil, qui n'a pas été touché par la réforme, continue d'en faire mention aux côtés de l'ordre
public. Néanmoins, cet « oubli » du législateur n'étonne guère : il parachève, d'une certaine façon, la chronique d'une
mort annoncée depuis plusieurs années. La décision commentée permet de le montrer de façon éclatante.
L'arrêt Galopin (ça ne s'invente pas) est né d'une affaire qui avait tout d'un vaudeville : un vieillard marié et néanmoins
polisson, une jeune maîtresse très intéressée, et un legs consenti par testament accompagné d'une lettre de la demoiselle qui précisait (avec une grande affection...) « pas d'argent, pas d'amour ». La question était simple : l'acte litigieux
pouvait-il être annulé comme ayant une cause immorale ? Non, répond l'Assemblée plénière de la Cour de cassation :
la libéralité consentie à l'occasion d'une relation adultère n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes
mœurs.
On reviendra plus tard sur la question de la cause et de son abandon par les nouveaux textes (v. Chap. 5 : Cass. 1re civ.,
12 juill. 1989 et Cass. 1re civ., 7 oct. 1998). Contentons-nous ici de relever que le contrôle de conformité aux bonnes
mœurs s'opérait, logiquement à l'époque, à travers la notion de cause subjective. Pour le reste, il s'agissait donc de
savoir quelle pouvait être la conception que les juges se faisaient des bonnes mœurs, sachant que leur marge d'appréciation était à peu près totale dès lors que la notion n'était pas définie par la loi.
Ce n'était pas la première fois, néanmoins, que la Cour prenait position. Un important arrêt de la première chambre
civile du 3 février 1999 avait déjà mis fin à une jurisprudence classique qui opérait un tri en fonction des motifs du
disposant : si la cause de la libéralité résidait dans la formation, la continuation ou la reprise de la relation adultère,
l'acte était nul ; si la libéralité n'exprimait qu'un devoir de conscience, celle-ci était en revanche valable. Rompant avec
cette ligne tout de même difficile à tenir, la cour régulatrice avait fini par juger que « n'est pas contraire aux bonnes
mœurs la cause de la libéralité dont l'auteur entend maintenir la relation adultère qu'il entretient avec le bénéficiaire ».
On peut constater que l'arrêt d'Assemblée plénière s'inscrit dans la même pente libérale. Mais il va encore plus loin,
semble-t-il, dans la mesure où « l'occasion », à savoir une relation adultère, suffit en l'espèce à désactiver le contrôle
(Vigneau, note D. 2004, p. 3175). On ne s'attarde même plus, dès lors, sur le fait que la libéralité semblait avoir eu
pour but de rémunérer les faveurs de la jeune maîtresse (« pas d'argent, pas d'amour »...) (Bénabent, obs. RDC 2005,
p. 1281) !

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