Amphi LMD - Cours de droit des biens - 1re - 15

justice appelle à « rendre à chacun le sien », ainsi que l'écrivait déjà Cicéron
avant notre ère (v. aussi Institutes, 1, 1, préf. et § 3 et Ulpien au
Digeste, 1, 1, 10 : « suum cuique tribuere »). L'emprise de l'Humanité sur
ce qui l'entoure questionne les philosophes (de même que les théologiens)
; les interrogations juridiques se parent aujourd'hui d'une forte
préoccupation environnementale, alors que la planète se réchauffe et que
ses ressources naturelles, polluées, s'épuisent.
Faut-il personnifier la nature et/ou les animaux, et en faire des sujets de droit
« sous tutelle » ? Donner une valeur comptable à la nature et aux matières premières
extraites afin d'en imputer à charge leur extraction par les entreprises ?
Revoir la place de l'homme comme « mesure de toute chose » (pour paraphraser
la formule du philosophe grec Protagoras) ? L'interrogation, l'évolution et le
dépassement des qualifications juridiques rejoignent les interrogations d'économistes
sur la « tragédie des communs », ces ressources communes à tous mais
dont aucun exploitant n'a intérêt, par rapport aux autres avec qui il est en
concurrence, à en limiter l'exploitation, malgré l'épuisement que la surexploitation
entraîne : v. Hardin G., La tragédie des communs, 2018, PUF (traduction de
l'article de 1968 paru en anglais dans la revue Science)et infra,nº 5.
5 - Économie politique. Le droit des biens a des liens étroits avec l'économie
politique. Le système juridique des biens est au service d'une ambition
- la prospérité économique - qui rejaillit sur la stabilité du système
politique. Ainsi la propriété n'est-elle plus aujourd'hui ce qu'elle était à
l'époque féodale ; elle n'est pas la même non plus dans les pays socialistes
(ex-URSS et Chine, par exemple). Les concepts du droit civil des biens
servent aujourd'hui le capitalisme économique : la propriété privée est
une liberté d'agir sur les choses et les revenus engendrés par un bien (revenus
du capital) reviennent à leur propriétaire, non à celui qui a travaillé le
bien. Le présupposé constant depuis 1804 est la propriété comme « l'âme
universelle de toute la législation [...], la règle et la mesure de la sage composition
de tous les intérêts particuliers avec l'intérêt commun »
(Portalis J.-É.-M., « Présentation au corps législatif du projet de loi sur la
propriété », in Fenet P.-A., Recueil complet des travaux préparatoires du
Code civil, t. XI, 1827, rééd. 1968, Osnabrück, Otto Zeller, p. 133).
Politiquement, une « nation de propriétaires » est le Graal d'un système politique.
Tout propriétaire foncier a par hypothèse quelque chose d'important à
perdre qu'il ne peut emmener, et il en vient rapidement à défendre tout système
établi qui le protège lui - et s'il doit choisir, préférer l'ordre à la justice... L'immeuble,
non délocalisable, est aussi source d'un impôt relativement constant
pour le pouvoir. L'illustration est donnée par Napoléon, qui perçait sous Bonaparte
lors du coup d'État du 18 brumaire an VII (9 nov. 1799). Bonaparte fit vendre
au profit de l'État les biens nationaux (biens du clergé et de certains nobles
qui avaient été confisqués lors de la Révolution française) : la bourgeoisie qui les
acheta avec une sécurité juridique fut « acquise » au nouveau régime...
Chapitre préliminaire - Introduction générale
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