Professions immobilières - Responsabilité des constructeurs - 2e - 59

LE DROIT SPÉCIAL DE LA RESPONSABILITÉ DES CONSTRUCTEURS
b. L'impropriété à la destination
70. L'impropriété à la destination de l'ouvrage est un puits sans fond qui permet aux juges, drapés
dans leur pouvoir souverain d'appréciation, d'étendre à l'envie, au gré des espèces, le champ
d'application de la responsabilité décennale des constructeurs. Nombreux sont ceux qui opposent
la compréhension objective à la compréhension subjective de la notion de destination de l'ouvrage
mais les juges paraissent irréductibles à toute tentative de classification, surtout binaire. Déjà parce
que la destination de l'ouvrage est rarement contractualisée, ce qui conduit les juges à s'interroger
sur la destination à laquelle le maître d'ouvrage peut légitimement s'attendre. Par exemple, un
ascenseur en panne peut, dans une résidence senior, même en R+2, rendre l'ouvrage impropre à sa
destination mais la solution ne sera pas forcément la même s'il s'agit d'un logement pour étudiants
(indépendamment, bien entendu, des règles d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite, d'ailleurs
récemment renforcée dans le cadre de la loi ELAN). Ensuite, parce que lorsque la destination
est contractualisée, il y a finalement autant de destinations qu'il y a d'ouvrages99
. Enfin, parce que
les juges ont tendance à considérer que toute méconnaissance de la réglementation entraîne une
impropriété à destination. Les exemples sont nombreux : la violation des règles parasismiques, les
défauts d'implantation altimétrique, etc.
Cass. 3e civ., 12 mai 2021, n° 19-24786100
Les faits concernent la construction d'une résidence hôtelière. Des désordres
surviennent après réception et le maître d'ouvrage assigne en responsabilité
décennale les locateurs d'ouvrage et leur assureur RCD, outre son assureur
dommages-ouvrage.
La cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 3 juillet 2019101
, a retenu que les
fêlures ou casses des carreaux sur les murs des salles de bains, le décollement
en cueillies de plafonds et la fissuration verticale au droit des plaques murales
compromettent l'esthétique et l'habitabilité de l'immeuble, qu'ils le rendaient
impropre à sa destination dès lors qu'ils affectaient des éléments essentiels des
salles de bains et des WC ainsi que les murs porteurs, rendant inhabitables des
chambres d'une résidence hôtelière de haut standing.
Tout est dit. L'appréciation est subjective. C'est en considération du standing de
la construction que le critère de l'habitabilité va être apprécié. Un pourvoi est
formé mais il est rejeté.
L'impropriété à destination est appréciée au regard de la destination voulue par
les parties102
ciation posée par les juges du fond103
.
. La Cour de cassation exerce, uniquement, un contrôle sur l'appré.
La
frontière entre le dommage esthétique, par nature relevant de la catégorie
des dommages intermédiaires et le dommage décennal, peut parfois être
mince104
99 Ph. Malinvaud, « L'impropriété à la destination s'apprécie par référence à la destination convenue », RDI
2012, p. 630 ; P. Dessuet, « L'impropriété à la destination s'apprécie par rapport à la destination convenue »,
Constr. Urb. déc. 2012, p. 30.
100 J. Mel, « Des désordres qui compromettent l'esthétique et l'habitabilité de l'immeuble sont de nature
décennale », Lexbase, Hebdo édition privée n°866 du 27 mai 2021.
101 CA Paris, 3 juill. 2019, n° 15/17971.
102 Cass. 3e
civ., 17 oct. 1990 : JCP G 1990, IV, 40 et, aussi et surtout, Cass. 3e
n° 10-28309.
103 Cass. 3e
civ., 2 juin 2016, n° 15-16115.
104 Pour une illustration récente à propos de l'atteinte à l'image d'un hôtel justement : Cass. 3e
19 sept. 2019, n° 18-19353.
civ.,
civ., 10 oct. 2012,
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