Hors collection - Analyse financière internationale - 1re - 140

Focus du professionnel
« Et la RSE dans tout ça »49 ?
Jérôme Courcier
Par définition, le contrôle de gestion participe du concept d'entreprise-tableur développé par Gomez (2019)
pour caractériser la mutation du capitalisme classique en capitalisme spéculatif. Selon lui, c'est parce que l'économie s'est mise au service de la finance, que les investisseurs en capital ont exigé que leur soient régulièrement communiquées les informations sur la performance de l'entreprise, et que cette dernière s'est métamorphosée en tableur, pour être sûre de tenir les promesses de rendements financiers. Cette mutation daterait de
1974, et de la loi ERISA50 qui a réformé les fonds de pensions américains, orienté l'épargne des ménages vers
les marchés financiers, et fait de la recherche du profit à court terme un « devoir fiduciaire », une obligation
de loyauté.
À cette date, la valeur comptable expliquait 83 % de la capitalisation boursière cumulée des entreprises du
S&P 500, et ces dernières étaient donc considérées avant tout comme des actifs financiers, des sommes de cashflows à actualiser. Aujourd'hui, la valeur comptable n'explique plus que 13 % de la capitalisation boursière, et
nombreux sont ceux qui considèrent que le modèle économique d'une entreprise, son « moteur » de création
de valeur, résulte en fait de la combinaison d'actifs tangibles et intangibles (les capitaux humains, industriels,
intellectuels et financiers), de liens tissés avec son écosystème (les capitaux naturels, sociétaux et réputationnels), de risques auxquels elle est confrontée, ainsi que de façons d'éviter ou d'atténuer ces derniers.
En France, la loi PACTE51 de 2019 a, en conséquence, modifié l'article  1833 du Code civil, qui disait que la
société devait être « gérée dans l'intérêt commun des associés », pour stipuler que dorénavant la « société
est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son
activité ». Du coup, l'article L. 225-35 du Code de commerce, précise désormais que « le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société conformément à son intérêt social et en prenant en
considération ses enjeux sociaux et environnementaux et veille à leur mise en œuvre ». Enfin, l'article 1835 du
Code civil annonce que « les statuts peuvent préciser une Raison d'Être constituée des principes dont la société
se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité », cette
vision long terme devant orienter les actions de l'entreprise vers la création de valeur économique, sociale et
environnementale.
Aux États-Unis, de la même façon, la business roundtable, la principale association patronale qui compte
parmi ses membres Apple, Boeing, JP Morgan Chase, Johnson & Johnson, American Airlines ou Amazon, a
appelé, en août  2019, à repenser le but même de l'entreprise. Alors qu'elle insistait jusqu'à présent sur la
primauté de l'actionnaire, elle estime désormais que l'objet d'une société est de fournir de la valeur à l'ensemble des parties prenantes. Concrètement, elle invite ses membres à s'engager à « fournir de la valeur à
leurs clients », à « investir dans les employés », à « traiter équitablement et éthiquement les fournisseurs », à
« soutenir les communautés dans lesquelles elle travaille », « à protéger l'environnement » et à « générer de
la valeur à long terme pour les actionnaires ».
Du coup, pour P.  de Cambourg, le président de l'Autorité des normes comptables, il est grand temps que
l'information sur l'entreprise « marche sur deux jambes », la jambe financière, mais aussi la jambe extra-financière qui mesure « la capacité de l'entreprise à gérer les transitions, à prendre en compte les risques qui pèsent
sur son développement, et ceux qu'elle fait peser sur l'écosystème dans lequel elle opère ».
Cette reconnaissance de l'importance des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour
la création de valeur commerciale à long terme, intervient au moment où les entreprises ont beaucoup de
mal à rendre compte des effets qu'elles produisent sur la société, c'est-à-dire à recueillir et compiler les données, généralement non-monétaires, liées directement ou indirectement à leurs activités. Ne sachant pas à
quel ensemble de conventions et de règles se vouer, certaines restent fidèles au référentiel de l'ISO52 26000,
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 esponsabilité sociétale de l'entreprise, en référence à « Et Dieu dans tout ça ? » question devenue culte, posée par Jacques Chancel
au patron du Parti communiste français Georges Marchais en février 1978, dans son émission Radisoscopie.
50 Employee retirement income security act.
51 Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises.
52 International organization for standardization.

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