Hors collection - Analyse financière internationale - 1re - 165

Cependant, de nouvelles idées et de nouveaux outils apparus dans d'autres domaines ouvrent
constamment des perspectives de développement et de croissance pour la gestion des risques.
On peut citer à ce titre l'émergence de la science des réseaux au cours des 25 dernières années,
l'explosion de l'apprentissage machine, ou les avancées récentes en sciences cognitives. Afin
d'être prêt pour les crises de demain, et non pour celles d'hier, il est essentiel de concevoir la
gestion des risques comme un domaine organique et évolutif, appelant à une approche transdisciplinaire.

Focus des professionnels
Focus 1 - L'analyse financière et le risque de contrepartie au cœur des dérivés
Pierre-Yves Domeneghetti
Depuis  2008, l'analyse crédit s'est invitée là où elle ne s'aventurait guère  : hors du bilan, vers les marchés
dérivés. Il n'est pas intuitif pour une discipline qui s'attache à mesurer le risque crédit sur des sous-jacents
« funded » tels les prêts ou les obligations, de devoir se saisir d'instruments « unfunded » comme les swaps.
Et pourtant, des défaillances de contrepartie ont entraîné des pertes de crédit sur dérivés énormes pendant la
crise. Au point d'en émouvoir les régulateurs et autorités comptables qui ont, dès décembre 2010, prévu que
« les banques enregistrent une provision pour pertes de crédit attendues dès qu'un prêt est émis, au lieu d'attendre la survenue d'événements déclencheurs signalant des pertes imminentes »71. Une incapacité à mesurer
correctement les risques de crédit sur les portefeuilles OTC72 a eu un impact multiplicateur des pertes et a
nécessité de nouvelles méthodes d'évaluation de ces risques : la stressed effective expected positive exposure
(EPE) qui permet de calculer le montant de fonds propres nécessaires pour couvrir le risque de défaut pour
chaque contrepartie en fonction de l'exposition de celle-ci.
Il s'agit d'un séisme pour les établissements de crédit dont les expositions en dérivés sont conséquentes. Auparavant, les activités de marché, focalisées sur les risques inhérents à ceux-ci (risques de taux, change, liquidité
ou volatilité) n'avaient qu'une approche incomplète du risque de contrepartie. Il s'agissait principalement
de déterminer un volume de limites ex ante par contrepartie, mais sans calculer le coût spécifique correspondant à ce risque pris lors de l'opération, coût non incorporé au prix de la transaction dérivée. Une fois
la limite obtenue, le prix était (quasiment) le même pour toutes les contreparties. On peut même extrapoler
cette situation au marché interbancaire : le prêt en blanc entre contreparties était courant avant la faillite
de Lehman Brothers. Un trésorier d'une grande banque européenne du sud au moment de la faillite de la
Banque américaine, avait, pour placer sa trésorerie à un an, deux listes : une de 20 grandes banques où son
exposition maximale était de 400 M€. Une deuxième de 40 autres banques où l'exposition maximale était de
100 M€. Contrairement au marché obligataire, le placement interbancaire s'effectuait quasiment sans distinction de prix, certes parce que les maturités étaient courtes, mais surtout parce que la foi dans l'infaillibilité des
banques grâce au prêteur en dernier ressort était totale. Cette époque est désormais révolue.
L'observation du passif du bilan de la Banque centrale montre sans ambiguïté le changement de comportement brutal des banques lors du défaut de Lehman : alors que le niveau de dépôts bancaires à la BCE évoluait entre 300 et 500 Mds€, soit un peu au-dessus du niveau des réserves obligatoires dans les années qui
précédaient la crise, le montant s'envole vers les 900 Mds€ les mois suivants : c'est le marché interbancaire qui
s'effondre avec la prise en compte du risque de défaut. Il passe en état de dislocation quand auparavant il n'y
avait pas de différence de prix entre les banques lors de ces prêts en blanc (sans collatéral). De même, pour
la négociation d'un swap, l'existence de limites de contreparties constituait le seul filtre ; un prix quasiment
unique prévalait pour toute contrepartie, sans distinction de qualité de crédit. Il n'y avait pas d'espace pour
l'analyse financière ailleurs que dans la détermination de limites de contrepartie dans les départements des
risques, loin des activités de marché des opérateurs sur dérivés.
La faillite de Lehman Brothers et les réactions des régulateurs ont déclenché dans l'univers des dérivés
« le passage d'un monde comptable fondé sur les pertes crédit subies à celui de pertes futures probables ».73
71 COHEN B., Rapport trimestriel BRI, mars 2017.
72 L es opérations de dérivés de gré à gré (over the counter, OTC) ne figurent pas au bilan qui n'enregistre que les droits et obligations
susceptibles d'évaluation monétaire et certaine. Leur valorisation est plus délicate que celle des marchés organisés.
73 COHEN B., ibid.

163
Hors collection - Analyse financière internationale - 1re

Table des matières de la publication Hors collection - Analyse financière internationale - 1re
