Hors collection - Analyse financière internationale - 1re - 69

Focus du professionnel
L'analyse financière aujourd'hui et demain
Pierre Bosset
Si beaucoup de métiers ont été (ou sont en cours d'être) bouleversés par la digitalisation et/ou l'uberisation,
le métier d'analyste financier dans les entreprises d'investissements (EI) ou prestataires de services d'investissements (PSI), les ex-sociétés de Bourse, a été de ce point de vue relativement épargné jusqu'à présent. Les EI
ou PSI sont des entreprises agréées qui agissent pour le compte de leurs clients (investisseurs institutionnels,
entreprises...) sur les marchés financiers par la transmission d'ordres (discount broker), et/ou fournissent des
services à haute valeur ajoutée à ces mêmes clients (analyse financière, conseil en introduction en Bourse...).
En revanche, peu de métiers ont été autant transformés que celui-ci de l'analyse financière par l'évolution de
la réglementation depuis 25 ans.
La régulation a conduit l'analyste financier dit sell side à adopter des postures radicalement opposées à celles
en vigueur auparavant. Elle a donc complètement modifié les interactions de l'analyste avec son environnement.
Ce qui est interdit aujourd'hui était pratique courante, voire recommandé il y a 20 ans.
Il y a 25 ans, l'analyste financier qui publiait une étude importante sur un émetteur la mettait à disposition
et la présentait à sa force de vente la veille de la publication. Le but était que les vendeurs maîtrisent au
mieux l'argumentaire de l'analyste pour pouvoir l'expliquer de la manière la plus efficace aux investisseurs
institutionnels. Dans certaines sociétés de Bourse, le market-maker ou négociateur prenait même position sur
le titre concerné avant la publication de l'étude, pour faciliter les flux des clients le lendemain. Cela consistait
par exemple à acheter des titres avant la publication d'une recommandation à l'achat pour pouvoir servir les
ordres en provenance des clients institutionnels de la société de Bourse, avec, si possible, un gain au passage.
Aujourd'hui, de telles pratiques (« front running ») sont interdites. Les études des analystes sont rendues
publiques à toutes les parties prenantes, internes et externes au même moment, c'est-à-dire lors de la publication de l'étude sur le site de la recherche de l'entreprise d'investissement/PSI et sa diffusion par internet. Et
bien sûr, les transactions effectuées la veille sur le titre concerné sont surveillées de près par les départements
de contrôle et de compliance dans chaque structure.
Il y a 25 ans, les banquiers d'affaires et les analystes financiers travaillaient de concert pour gagner des mandats d'IPO (Initial public offering, introduction en Bourse) auprès d'émetteurs. La connaissance sectorielle de
l'analyste financier, sa connaissance des attentes des investisseurs institutionnels étaient des atouts précieux
dans la démarche commerciale du banquier d'affaires vis-à-vis de l'émetteur. Aujourd'hui, les réunions tripartites sont formellement interdites.
Les analystes avaient encore le droit de rencontrer le management des sociétés candidates à une IPO avant
le déclenchement du processus, dans des réunions assez encadrées appelées vetting. Mais, depuis juillet 2018
au Royaume-Uni, tout contact entre analystes et société candidate à une IPO avant celle-ci est interdit. Cette
réglementation s'applique aux sociétés voulant se faire coter en Grande-Bretagne et aux analystes régulés par
la FSA (Financial services authority). L'Europe a emboîté le pas des Britanniques.
Avant l'entrée en vigueur de Mifid 2, les études de recherche étaient envoyées sans discernement par chaque
société de Bourse/bureau de recherche à un grand nombre d'institutionnels. Ces études étaient une denrée
abondante, consommable sans limitation. Aujourd'hui, une étude ne peut être envoyée à un client institutionnel que si celle-ci est rémunérée dans le cadre d'un contrat signé entre les deux parties, l'investisseur
institutionnel d'une part, l'EI/PSI ou la banque d'autre part. Et il n'est pas question d'enfreindre cette réglementation, ni pour l'investisseur, ni pour la société de Bourse. Les accès informatiques aux bases de données
et les listes d'envoi par mails sont strictement limités et contrôlés. La recherche est devenue rare, mais pas
assez chère.
Auparavant, les analystes financiers travaillaient, envoyaient leurs études, interagissaient avec leurs clients
dans l'espoir d'être payés en retour par des commissions perçues sur les flux d'ordres. Aujourd'hui, les mêmes
analystes ne partagent, à travers des réunions, par téléphone ou par mail leurs recommandations, leur connaissance d'un secteur ou d'un émetteur que si cela fait l'objet d'une rémunération.
Enfin, le confinement lié à la Covid-19 en 2020 a changé les habitudes des différents intervenants. Gérants de
portefeuille et analystes financiers ont travaillé de chez eux durant cette période et ne se sont, bien sûr, jamais
rencontrés. En revanche, ils sembleraient qu'ils n'aient jamais autant échangé, par téléphone, conférence-call,
Zoom et autres plateformes. L'incertitude générée par la crise sanitaire et son impact sur l'économie a entraîné
une hausse des interactions entre analystes et gérants pour essayer de mieux comprendre l'impact de la Covid19 sur chaque secteur et chaque société, et pour essayer de discerner ceux qui sortiront de la crise à peu près
indemnes ou dont les perspectives ne seront pas trop compromises.

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