Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit administratif - 15e - 116

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L'ESSENTIEL DES GRANDS ARRÊTS DU DROIT ADMINISTRATIF
1 CE, 10 janv. 1902, Compagnie nouvelle dugaz deDéville-lès-Rouen
« Considérant que la commune de Déville-Lès-Rouen soutient que si elle a concédé à la Compagnie requérante le privilège
exclusif de l'éclairage par le gaz, ce privilège, dans le silence des traités de 1874 et de 1887, ne s'étend pas à l'éclairage
par tout autre moyen et notamment par celui de l'électricité, la commune n'ayant pas renoncé au droit de faire profiter
ses habitants de la découverte d'un nouveau mode d'éclairage ; [...]
Considérant qu'il sera fait droit à ce qu'il y a de fondé dans leurs prétentions contraires en reconnaissant à la Compagnie
du gaz le privilège de l'éclairage par n'importe quel moyen et à la commune de Déville la faculté d'assurer ce service au
moyen de l'électricité, en le concédant à un tiers dans le cas où la Compagnie requérante dûment mise en demeure refuserait
de s'en charger aux conditions acceptées par ce dernier; »
(Annulation).
■ Faits
La commune de Déville-Lès-Rouen concède à la Compagnie requérante le privilège exclusif de l'éclairage de la ville par
le gaz. Quelques années plus tard, pendant l'exécution du contrat, l'éclairage électrique se répand et la commune
demande à son concessionnaire de modifier l'éclairage en passant à l'électricité, nouveau mode d'éclairage. La compagnie
refuse et forme un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative dans le but d'être indemnisée
du préjudice causé par le choix fait par la commune d'une autre entreprise pour équiper la ville en éclairage électrique.
■ Portée
Le revirement qu'opère le Conseil d'État en ce qui concerne le régime du contrat administratif est considérable : plutôt
que de valoriser le privilège d'exploitation dont dispose le concessionnaire, il reconnaît à l'administration contractante
le pouvoir de modifier le service public confié à son concessionnaire, dans le but de garantir l'adaptation du service
public aux exigences de l'intérêt général. C'est le principe de « mutabilité » du contrat administratif qui est consacré.
Il s'agit en l'occurrence, en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, de pouvoir les adapter
aux innovations techniques, et plus précisément au passage du gaz à l'électricité. C'est, on l'a dit, la consécration du
principe de mutabilité du contrat administratif, qui quelques années plus tard (en 1910, v. infra) entraînera plus
clairement en jurisprudence la reconnaissance d'un pouvoir de modification unilatérale des clauses du contrat liées à
l'exécution du service public.
La jurisprudence a, par la suite, donné encore plus de pouvoirs à l'administration dans le cadre du contrat administratif.
Elle peut ainsi décider de sanctions à l'encontre de son cocontractant fautif, même en l'absence de clauses le précisant
dans le contrat. Elle peut aussi lui demander de réparer le dommage qu'elle aurait subi dans le cadre de l'exécution du
contrat. Quelques années plus tard, le Conseil d'État précisera même que l'administration doit pouvoir décider unilatéralement
de mettre fin au contrat (résiliation), si cela répond à un motif d'intérêt général, dans l'intérêt même du
service public. Dans cette hypothèse, évidemment, le cocontractant de l'administration a le droit de percevoir une
indemnisation.
Le Conseil d'État, dans la défense de l'intérêt général, trouve une solution de compromis équilibré. En effet, s'il reconnaît
à l'autorité administrative le pouvoir d'imposer à son cocontractant telle ou telle modalité technique de satisfaction
de l'intérêt général, sous peine de substituer un nouveau cocontractant à celui initial (après mise en demeure), celui-ci
dispose en contrepartie, en principe, de droits exclusifs ou privilégiés d'exploitation.
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