Pratique des affaires - Les procédures collectives complexes - 1re - 155

LES BIENS QUI ÉCHAPPENT AU GAGE COMMUN DES CRÉANCIERS 155

En considération de l'ensemble de ces insaisissabilités, un auteur avait estimé
que l'on pouvait y distinguer les prémisses de la constitution d'un « patrimoine de dignité », qui regrouperait les biens liés aux « besoins de la personne, de sa famille, et à leur survie »22. S'opérerait ainsi une segmentation
du patrimoine, entre d'un côté les biens nécessaires à la vie personnelle du
débiteur, qui échappent aux créanciers professionnels et de l'autre, le reste
de ses biens, qui constituent leur gage commun. Loin d'être démentie, cette
tendance s'est au contraire confirmée avec la possibilité, désormais clairement admise, de diviser son patrimoine.

B. Divisibilité du patrimoine
4. Comme chacun sait, la création du statut d'entrepreneur individuel à
responsabilité limitée (EIRL) en 2011 a marqué la négation d'un aspect
de la théorie de l'unicité du patrimoine défendue par Aubry et Rau23,
selon lequel les personnes n'ont qu'un patrimoine24. Car, dorénavant, l'entrepreneur peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine propre, qui se trouve séparé de son patrimoine personnel, sans qu'il ne soit
nécessaire de créer une personne morale. Ce patrimoine affecté doit contenir l'ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur
individuel est titulaire et qui sont « nécessaires » à l'exercice de son activité
professionnelle. De manière facultative, peuvent également y figurer l'ensemble des éléments précédemment évoqués, mais qui sont cette fois-ci simplement « utilisés » pour l'exercice de son activité.
Ce faisant, l'EIRL est venue constituer une nouvelle exception aux articles 2284 et 2285 du Code civil puisque l'entrepreneur peut faire échapper
certains biens au gage commun des créanciers sans avoir à se départir de
leur propriété. En effet, dans l'hypothèse où une EIRL est constituée, le
gage des créanciers s'exerce sur des sous-ensembles, selon l'origine de la
créance : les créanciers personnels ont « pour seul gage général le patrimoine non affecté » tandis que les créanciers personnels « ont pour seul
gage général le patrimoine affecté »25. En établissant la composition de
22. J. ROCHFELD, « Initiative économique - Résidence principale - Insaisissabilité », RTD civ. 2003,
p. 743.
23. C. AUBRY, C. RAU, Cours de droit civil français d'après la méthode de Zacharie, t. VI, 4e éd., Marchal et
Billard, 1873, no 573. Pour un historique du développement de la théorie du juriste allemand
Zacharie à AUBRY et RAU, v. A.-L. THOMAS-RAYNAUD, L'unité du patrimoine : essai critique, Defrénois,
2007, préf. D. TOMASSIN, nos 30 et s.
24. V. en part. R. LIBCHABER, « Feu la théorie du patrimoine », BJS 2010, no 4, p. 316 ; A. DENIZOT,
« L'étonnant destin de la théorie du patrimoine », RTD civ. 2014, p. 547 - Sur la nécessaire
adaptation du droit des entreprises en difficulté à la création de l'EIRL, v. la contribution de
J.-N. STOFFEL, « L'EIRL confronté au droit des entreprises en difficulté ».
25. C. com., art. L. 526-12.
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