Revue - Bulletin Joly Bourse n° 4-2014 - (Page 8)
Abus de marché
tation avec la position adoptée par la Cour de Strasbourg. La
Cour de cassation retient en effet de manière constante que
« la règle non bis in idem, consacrée par l'article 4 du Protocole
n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de
l'Homme, ne trouve à s'appliquer, selon les réserves faites par
la France en marge de ce protocole, que pour les infractions
relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale » 9.
Il paraît désormais impossible de soutenir la validité de la
réserve faite par la France. Si les condamnations répétées de
l'Autriche au titre d'une réserve pourtant plus précise que
celle de la France constituaient déjà un sérieux indice de son
absence de validité 10, l'invalidation de la réserve faite par l'Italie ne laisse plus place au doute.
Le Gouvernement avait entrepris d'exciper devant la Cour
de la réserve faite par l'Italie, selon laquelle « la République
italienne déclare que les articles 2 à 4 du Protocole ne s'appliquent qu'aux infractions, aux procédures et aux décisions
qualifiées de pénales par la loi italienne ». L'arrêt Grande
Stevens a conclu à son absence de validité en rappelant les
conditions posées par l'article 57 de la Convention EDH,
aux termes duquel la réserve doit être faite au moment où la
Convention ou ses protocoles sont signés ou ratifiés ; elle doit
porter sur une loi en vigueur au jour où elle est formulée ; elle
ne peut être à caractère général ; elle doit comporter un bref
exposé de la loi en cause (§ 207).
Au titre de ces quatre conditions cumulatives, la Cour de
Strasbourg n'a caractérisé que l'excessive généralité de celle
faite par l'Italie. Celle-ci résultait de l'absence de bref exposé
des lois incompatibles avec l'article 4 du Protocole et n'offrait
pas « à un degré suffisant la garantie qu'elle ne va pas au-delà
des dispositions explicitement écartées par l'État contractant »
(§ 210).
Selon ce critère, posé dans l'arrêt Gradinger 11, il n'est pas plus
de raisons de conclure à la validité de la réserve faite par la
France qu'à celle de l'Italie ou de l'Autriche. Alors que les
deux dernières renvoient aux infractions et procédures pénales
d'après leur loi ou leur Code pénal, celle de la France se fonde
sur la compétence des tribunaux statuant en matière pénale.
La réserve de la France n'en présente pas pour autant une
généralité moindre car, à l'évidence, l'incertitude provient,
aux yeux de la Cour de Strasbourg, de l'acception qu'elle
retient elle-même de la « matière pénale » au sens de l'article
6, §1, afin d'assurer une protection étendue des justiciables
au-delà des conceptions nationales.
9 Cass. crim., 1er mars 2000, n° 99-86299 : Bull. crim., n° 98 ; Cass. crim., 28 janv.
2009, n° 07-81674, inédit ; égal. pour des opérations d'initié, Cass. com., 8 févr.
2011, n° 10-10965 : Bull. civ., IV, n° 17. Il s'agit également des motifs adoptés
par la chambre criminelle dans l'arrêt du 22 janvier 2014 sur lesquels, v. notre
note préc.
10 Sur ce point, notre note préc.
11 CEDH, 23 oct. 1995, Gradinger c. Autriche, série A, n° 328-C, §51.
210
En toute hypothèse 12, la réserve réitérée par la France lors de
la ratification du Protocole n° 7 le 17 février 1986, ne satisfait
pas non plus au critère d'antériorité des lois visées, la double
répression en matière boursière n'ayant été introduite qu'avec
la loi du 2 août 1989.
À bon entendeur donc. La réserve faite par la France ne peut
qu'être écartée dans le cadre d'un recours devant la Cour de
Strasbourg fondé sur un éventuel cumul des poursuites et
sanctions en matière boursière. La position de la Cour de cassation paraît désormais injustifiable sur le terrain du respect
de la souveraineté nationale.
Est-il alors possible de maintenir notre dispositif répressif
compte tenu de la teneur du principe non bis in idem ?
II. La caractérisation de la violation
du principe non bis in idem
Il n'est pas non plus possible de justifier le maintien du dispositif actuel en fonction de l'interprétation que donne la Cour
EDH de l'interdiction du cumul des poursuites et sanctions
pour les mêmes faits. L'arrêt Grande Stevens donne en effet
une acception large du bis (A), comme du idem (B), en même
temps qu'il ferme la porte à une éventuelle justification fondée sur le terrain du droit de l'Union européenne (C).
A. La double poursuite
Préalable à la vérification du respect du principe non bis in
idem, la Cour a d'abord dû examiner le rattachement de la
sanction administrative déjà prononcée par la CONSOB à la
« matière pénale », au sens de l'article 6, §1. Selon un raisonnement mettant en œuvre les critères classiques dégagés par
la jurisprudence Engel 13, la Cour a retenu que les sanctions
prononcées avaient bien une nature pénale en raison de leur
finalité répressive et préventive (§ 96) comme de leur sévérité
(§ 97). Cette solution s'imposait pour la Cour, qui a cependant pris soin d'affermir sa position en rappelant avoir déjà
jugé, « à propos de certaines autorités administratives françaises compétentes en droit économique et financier », que
leur pouvoir de sanction relève de la matière pénale, autorités
au nombre desquelles figure... la commission des sanctions
de l'AMF 14 (§ 100).
En l'espèce, le Gouvernement italien alléguait l'irrecevabilité
des demandes formées par les requérants, entre autres au titre
de la méconnaissance de la règle d'épuisement des voies de
recours, imposée par l'article 35, §1, de la Convention. Si
la sanction administrative était effectivement définitive suite
au rejet du recours en cassation formé par les requérants, la
condamnation pénale se trouvait, en revanche, frappée d'un
12 V. note préc.
13 Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A n° 22. Sur le rattachement
à la matière pénale des sanctions administratives d'après les trois critères de cet
arrêt, v. F. Drummond, « Répression des abus de marché v. non bis in idem -
Perspectives d'évolution », in Mélanges en hommage à Nicole Decoopman, éditions
du Ceprisca, à paraître, n° 7.
14 CEDH, 30 juin 2011, n° 25041/07, § 35, Messier c. France.
Bulletin
Joly
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Avril
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