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Abus de marché tation avec la position adoptée par la Cour de Strasbourg. La Cour de cassation retient en effet de manière constante que « la règle non bis in idem, consacrée par l'article 4 du Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme, ne trouve à s'appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale » 9. Il paraît désormais impossible de soutenir la validité de la réserve faite par la France. Si les condamnations répétées de l'Autriche au titre d'une réserve pourtant plus précise que celle de la France constituaient déjà un sérieux indice de son absence de validité 10, l'invalidation de la réserve faite par l'Italie ne laisse plus place au doute. Le Gouvernement avait entrepris d'exciper devant la Cour de la réserve faite par l'Italie, selon laquelle « la République italienne déclare que les articles 2 à 4 du Protocole ne s'appliquent qu'aux infractions, aux procédures et aux décisions qualifiées de pénales par la loi italienne  ». L'arrêt Grande Stevens a conclu à son absence de validité en rappelant les conditions posées par l'article 57 de la Convention EDH, aux termes duquel la réserve doit être faite au moment où la Convention ou ses protocoles sont signés ou ratifiés ; elle doit porter sur une loi en vigueur au jour où elle est formulée ; elle ne peut être à caractère général ; elle doit comporter un bref exposé de la loi en cause (§ 207). Au titre de ces quatre conditions cumulatives, la Cour de Strasbourg n'a caractérisé que l'excessive généralité de celle faite par l'Italie. Celle-ci résultait de l'absence de bref exposé des lois incompatibles avec l'article 4 du Protocole et n'offrait pas « à un degré suffisant la garantie qu'elle ne va pas au-delà des dispositions explicitement écartées par l'État contractant » (§ 210). Selon ce critère, posé dans l'arrêt Gradinger 11, il n'est pas plus de raisons de conclure à la validité de la réserve faite par la France qu'à celle de l'Italie ou de l'Autriche. Alors que les deux dernières renvoient aux infractions et procédures pénales d'après leur loi ou leur Code pénal, celle de la France se fonde sur la compétence des tribunaux statuant en matière pénale. La réserve de la France n'en présente pas pour autant une généralité moindre car, à l'évidence, l'incertitude provient, aux yeux de la Cour de Strasbourg, de l'acception qu'elle retient elle-même de la « matière pénale » au sens de l'article 6, §1, afin d'assurer une protection étendue des justiciables au-delà des conceptions nationales. 9 Cass. crim., 1er mars 2000, n° 99-86299 : Bull. crim., n° 98 ; Cass. crim., 28 janv. 2009, n° 07-81674, inédit ; égal. pour des opérations d'initié, Cass. com., 8 févr. 2011, n° 10-10965 : Bull. civ., IV, n° 17. Il s'agit également des motifs adoptés par la chambre criminelle dans l'arrêt du 22 janvier 2014 sur lesquels, v. notre note préc. 10 Sur ce point, notre note préc. 11 CEDH, 23 oct. 1995, Gradinger c. Autriche, série A, n° 328-C, §51. 210 En toute hypothèse 12, la réserve réitérée par la France lors de la ratification du Protocole n° 7 le 17 février 1986, ne satisfait pas non plus au critère d'antériorité des lois visées, la double répression en matière boursière n'ayant été introduite qu'avec la loi du 2 août 1989. À bon entendeur donc. La réserve faite par la France ne peut qu'être écartée dans le cadre d'un recours devant la Cour de Strasbourg fondé sur un éventuel cumul des poursuites et sanctions en matière boursière. La position de la Cour de cassation paraît désormais injustifiable sur le terrain du respect de la souveraineté nationale. Est-il alors possible de maintenir notre dispositif répressif compte tenu de la teneur du principe non bis in idem ? II. La caractérisation de la violation du principe non bis in idem Il n'est pas non plus possible de justifier le maintien du dispositif actuel en fonction de l'interprétation que donne la Cour EDH de l'interdiction du cumul des poursuites et sanctions pour les mêmes faits. L'arrêt Grande Stevens donne en effet une acception large du bis (A), comme du idem (B), en même temps qu'il ferme la porte à une éventuelle justification fondée sur le terrain du droit de l'Union européenne (C). A. La double poursuite Préalable à la vérification du respect du principe non bis in idem, la Cour a d'abord dû examiner le rattachement de la sanction administrative déjà prononcée par la CONSOB à la « matière pénale », au sens de l'article 6, §1. Selon un raisonnement mettant en œuvre les critères classiques dégagés par la jurisprudence Engel 13, la Cour a retenu que les sanctions prononcées avaient bien une nature pénale en raison de leur finalité répressive et préventive (§ 96) comme de leur sévérité (§ 97). Cette solution s'imposait pour la Cour, qui a cependant pris soin d'affermir sa position en rappelant avoir déjà jugé, « à propos de certaines autorités administratives françaises compétentes en droit économique et financier », que leur pouvoir de sanction relève de la matière pénale, autorités au nombre desquelles figure... la commission des sanctions de l'AMF 14 (§ 100). En l'espèce, le Gouvernement italien alléguait l'irrecevabilité des demandes formées par les requérants, entre autres au titre de la méconnaissance de la règle d'épuisement des voies de recours, imposée par l'article 35, §1, de la Convention. Si la sanction administrative était effectivement définitive suite au rejet du recours en cassation formé par les requérants, la condamnation pénale se trouvait, en revanche, frappée d'un 12 V. note préc. 13 Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A n° 22. Sur le rattachement à la matière pénale des sanctions administratives d'après les trois critères de cet arrêt, v. F. Drummond, « Répression des abus de marché v. non bis in idem - Perspectives d'évolution », in Mélanges en hommage à Nicole Decoopman, éditions du Ceprisca, à paraître, n° 7. 14 CEDH, 30 juin 2011, n° 25041/07, § 35, Messier c. France. Bulletin Joly Bourse * Avril 2014

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