Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 101

LE DROIT COMME VECTEUR DES INÉGALITES DE GENRE
(un « stress existentiel » dû à la mort d'une amie) que somatiques (son asthme)
- ce dont on ne trouve pas d'équivalent durant ce procès du côté des garçons. De
manière générale, les dossiers de garçons étudiés font peu référence à la
sexualité, à l'intimité, à la santé : tout se passe pour eux comme si leurs déviances
étaient « dans l'ordre des choses », nécessitant peu de recours à des cadres
interprétatifs extrajudiciaires, relevant par exemple de la psychologie. À
l'inverse, les dossiers des filles, civils comme pénaux, portent la trace d'une forte
sanitarisation de leurs parcours judiciaires 21 et d'une prise en charge que l'on
peut qualifier d'« ambivalente » 22, au sens où elles sont plus « protégées » que
les garçons au pénal, mais également plus « contrôlées » par les institutions de
protection de l'enfance, qui mobilisent souvent à leur égard des mesures de suivi
psychologique et médical sans commune mesure avec celles qui sont imposées
aux garçons. Ces mesures peuvent être perçues comme le résultat d'une absence
de cadres interprétatifs de leurs situations au sein de l'institution judiciaire,
rendant nécessaire le recours à des éclairages extrajudiciaires.
III. Les deux visages de la sanitarisation des filles au tribunal,
public minoritaire du tribunal pour enfants
Si le groupe social des filles confrontées à la justice est des plus minoritaires
dans l'institution judiciaire, notamment au pénal, il n'est pas pour autant un
groupe homogène. En effet, l'enquête a permis de mettre au jour une distinction
fortement ancrée, dans les propos des professionnel·les, entre la plupart des
adolescentes et celles qui présentent un profil atypique, du fait de leur nationalité
et de leur absence de responsables légaux sur le territoire français. Il y aurait,
d'une part, les adolescentes françaises en détresse, souvent en difficulté au sein
de leurs familles (conflits familiaux, violences subies dans la famille) et, d'autre
part, des adolescentes difficiles à catégoriser autrement que par l'absence des
familles, vivant en bidonville aux portes de Paris ou faisant partie de réseaux de
criminalité organisée. Ces dernières sont apparues, durant l'enquête, du fait sans
doute du territoire étudié 23, sous les traits de celles que les professionnel·les
nomment les " jeunes filles roumaines " , des adolescentes pour la plupart roms,
déférées au pénal pour des faits de délinquance de rue, et fréquemment
incarcérées pour leurs délits (nous y reviendrons). Au sein du groupe des filles
confrontées à la justice, dont les parcours sont fortement sanitarisés, on trouve
donc, d'un côté, des filles parfois qualifiées de « domiciliées » (possédant une
adresse en France et généralement la nationalité française, certaines étant
blanches, arabes ou noires, la plupart issues des classes populaires et des quartiers
21. Coline CARDI, La Déviance des femmes. Délinquantes et mauvaises mères : entre prison, justice
et travail social, thèse de doctorat en sociologie, Université Paris 7, 2008.
22. Cindy DUHAMEL, Dominique DUPREZ et Élise LEMERCIER, Analyse de la délinquance des filles
mineures et de leur prise en charge, rapport de recherche, Mission de recherche droit et justice,
2016.
23. Les adolescentes roms sont nombreuses à être jugées à Paris, du fait d'actes de délinquance
commis sur des touristes - plus nombreux dans la capitale que dans d'autres juridictions.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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