Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 102

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
associés 24), et, de l'autre, des « jeunes filles roumaines » ou plus rarement des
« mineures non accompagnées » 25. On le verra dans les lignes qui suivent, la
sanitarisation des prises en charge n'opère pas de la même manière pour les filles
« domiciliées » et pour les « jeunes filles roumaines », appelant une lecture
intersectionnelle de leurs situations respectives 26.
1. Une sanitarisation de nature protectionnelle
pour les filles « domiciliées »
Afin de mettre à l'épreuve du terrain l'hypothèse d'une plus grande
sanitarisation des situations des adolescentes prises en charge par la justice, une
variable « recours au soin » a été créée, dans cette enquête, pour l'analyse des
dossiers judiciaires de l'une des deux juridictions étudiées, à Créteil, où la quasitotalité
des adolescentes sont « domiciliées ». Le recours au soin renvoie ici à
tout acte institutionnel d'implication des adolescent·es dans une démarche de
soin : prise en charge psychologique dans une institution, bilan somatique ou
psychologique réalisé à la demande des éducateurs et éducatrices,
hospitalisation, expertises psychologiques ou médicales réalisées à la demande
des juges 27.
Les résultats obtenus montrent un plus fort recours au soin dans les dossiers
des filles en assistance éducative, où elles sont 84,3 % à être concernées par une
prise en charge sanitaire, contre 54,5 % des garçons. La différence de prise en
charge entre garçons et filles est encore plus évidente au pénal, où 62,5 % des
filles sont concernées par une prise en charge sanitaire, contre 12 % des garçons,
même si ces résultats doivent être considérés avec prudence compte tenu de la
24. Précisons ici une caractéristique du terrain, réalisé en Île-de-France : les jeunes pris·es en charge
sont, pour la plupart, issu·es des quartiers populaires (banlieues de petite ou grande couronne
parisienne pour l'essentiel, ou arrondissements parisiens pauvres). Cela n'est pas
nécessairement représentatif des prises en charge à l'échelle nationale, où des caractéristiques
propres à la jeunesse rurale se dégagent d'enquêtes récentes (Yaëlle AMSELLEM-MAINGUY,
« Les filles du coin ». Enquête sur les sociabilités des jeunes femmes vivant en milieu rural,
INJEP, Paris, 2019).
25. Les filles sont très peu nombreuses parmi les « mineurs non accompagnés » (MNA), ces mineurs
étrangers arrivés en France sans leurs parents. Nous n'avons pas étudié leur situation dans le
cadre de cette recherche, mais réalisons actuellement une enquête à leur sujet. Dans les discours
des professionnel·les, les « jeunes filles roumaines » sont parfois incluses parmi ces « mineures
non accompagnées », mais à la différence près que si elles ne souhaitent pas donner l'adresse
de leurs parents à la justice, la plupart vivent en France avec eux. Beaucoup des acteurs du
tribunal estiment donc que les « jeunes filles roumaines » sont moins vulnérables que les
mineures non accompagnées, et ne nécessitent pas la même réponse judiciaire - en l'occurrence
davantage protectionnelle pour les MNA.
26. Les données citées dans cette partie de l'article ont fait l'objet d'une publication
détaillée (Arthur VUATTOUX, « Le traitement sanitaire de l'adolescence confrontée à la justice :
une approche intersectionnelle », Sciences sociales et santé, 37, 2, 2019, p. 5-28).
27. Seul le recours au soin durant la garde à vue a été écarté de l'analyse car la visite d'un médecin
est obligatoire à cette occasion pour les mineur·es de moins de 16 ans ; elle ne signifie pas
nécessairement l'existence d'un besoin de soin chez les jeunes et aurait fait croître
artificiellement la proportion de mineur·es concerné·es par le recours au soin.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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