Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 11

PRÉFACE
sociales aux impositions normatives [...] l'accent se déplace sur la capacité
manipulatrice des acteurs sociaux et donc sur leurs compétences juridiques » 8.
On pourrait dire ici que la mise en relation du genre et du droit autorise une
révolution paradigmatique :
- d'une part, à l'échelle d'une science sociale du droit qui subvertit l'alliance
paradoxale entre les tenants d'un droit comme « Raison », qui légitime une
domination sans partage, et les locuteurs d'une théorique critique qui consacrent
a contrario cette vision dans le cadre d'un processus de dénonciation inspiré par
ce qui serait une conception exclusivement unilatérale de la domination ;
- d'autre part, à l'échelle des sciences sociales en général, désormais dans
l'obligation de redonner aux acteurs et à leur capacité à se coaliser autour
d'aspirations, de revendications, toute la place qui leur revient dans les processus
sociaux généraux qui sont à l'œuvre au sein des sociétés contemporaines, que ce
soit dans leur configuration locale, nationale ou supranationale. Dans le cadre
d'une approche par le genre, cette nouvelle focalisation sur les acteurs et les
actrices a pris d'autant plus de force qu'elle s'est accompagnée d'une
mobilisation de la connaissance sur les notions d'« empowerment » ou
d'« agentivité », c'est-à-dire, pour s'en tenir à une des définitions possibles, sur
ce processus permettant à l'individu d'accroître son pouvoir pour influer sur ce
qui agit sur son destin social.
La question du genre rapportée à la question du droit, tel que nous le donne à
voir le présent ouvrage, a une autre vertu, laquelle, en valant pour les recherches
sur le droit, vaut a fortiori pour les sciences sociales en général. Comme cela est
très fortement souligné dans l'introduction, « une approche par le genre »
favorise un double décloisonnement, ou plutôt ce que nous appellerons une
rupture et un décloisonnement. Comme nous avons eu l'occasion de le souligner
à de multiples reprises, un positionnement de recherche sur le droit, plus que dans
d'autre domaines, sur d'autres objets, exige que soit affirmée fermement la
distinction entre un positionnement de recherche dans un domaine donné (ce que,
dans l'univers juridique, on appelle la « science du droit ») et ce que sont les
pratiques dans ce même domaine (en l'occurrence la « pratique du droit »), ceci
valant particulièrement pour le droit qui, je le rappelle souvent en me référant à
la juste remarque de l'anthropologue Louis Assier-Andrieu, est une pratique qui
est en même temps un système de sens qui revendique, jusque dans ses sciences
auxiliaires, la capacité de servir sur lui-même ses propres vérités. Il existe une
« prétention du droit à être sa propre science » 9.
Plus encore que dans d'autres domaines, c'est bien une rupture entre les
catégories de la pratique et les catégories de la connaissance qu'il convient
8. Simona CERUTTI, « Normes et pratiques, ou de la légitimité de leur opposition », dans Bernard
LEPETIT (éd.), Les Formes de l'expérience : une autre histoire sociale, Albin Michel, Paris,
1995, p. 129.
9. Louis ASSIER-ANDRIEU, Le Droit dans les sociétés humaines, Nathan, Paris, 1996, p. 19.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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