Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 114

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
deux faces : « Il peut être un outil pour apaiser la population, de sorte que les
choses restent comme elles l'ont toujours été, mais il peut également être une
bannière pour réclamer un changement social » 5.
Ce chapitre se propose d'appliquer ce renversement de perspective sur le droit
au niveau régional africain - peu étudié jusqu'à maintenant sous l'angle des
usages du droit -, et ce à partir du cas du protocole additionnel à la Charte
africaine des droits de l'Homme et des peuples (CADHP), un traité international
relatif à la protection des droits des femmes dit « protocole de Maputo » car
adopté lors de la conférence des chefs d'État de l'Union africaine (UA) de 2003
tenue dans la capitale du Mozambique. Ce protocole, entré en vigueur en 2005,
réaffirme les droits fondamentaux des femmes en Afrique, mais il est également
le premier instrument contraignant de droit international à interdire l'excision et
les mariages forcés, à dépénaliser l'avortement médicalisé sous certaines
conditions et à énoncer une préférence pour la monogamie. Les études
consacrées à la production normative en matière d'égalité de genre restent en
effet souvent cantonnées à des échelles nationales 6, tandis que les rares travaux
portant sur les usages du droit pour l'égalité de genre, même si certains
s'inscrivent dans un cadre transnational 7, délaissent l'analyse du niveau régional
africain 8. Or, dans notre étude de cas, et c'est son intérêt, l'usage du droit comme
instrument permettant de tendre vers l'égalité de genre a ceci de particulier qu'il
se déploie à l'échelle régionale africaine. Nous entendons ici la notion d'usage
au sens large, pour signifier que les acteurs et actrices projettent d'utiliser le droit,
en l'occurrence ce protocole additionnel sur les femmes, y compris lorsqu'il n'est
pas encore écrit, comme un moyen de réduire les inégalités de genre. Nous nous
5. Mauricio GARCÍA-VILLEGAS, Les Pouvoirs du droit : analyse comparée d'études
sociopolitiques du droit, LGDJ, Paris, 2015, p. 80.
6. Anne REVILLARD, « Du droit de la famille aux droits des femmes : le patrimoine familial au
Québec », dans Droit et société, 62, 2006, p. 95-116 ; Marta ROCA i ESCODA, « Les
mobilisations du droit : le cas de la loi genevoise sur le partenariat », dans Droit et société, 76,
2010, p. 569-587 ; Marième N'DIAYE, « Rapports sociaux de sexe et production du droit de la
famille au Sénégal et au Maroc », dans Cahiers du genre, 57, 2014, p. 95-113 ; Laure BERENI,
La Bataille de la parité : mobilisations pour la féminisation du pouvoir, Économica, Paris,
2015.
7. Cf. Dia ANAGNOSTOU et Susan MILLNS, « Gender Equality, Legal Mobilization and Feminism
in a Multilevel European System », dans Canadian Journal of Law and Society, 28, 2, 2013,
p. 115-131; Rachel CICHOWSKI, « Legal Mobilization, Transnational Activism and Gender
Equality in the EU », dans Canadian Journal of Law and Society, 28, 2, 2013, p. 209-227 ;
Susan MILLNS et Charlotte SKEET « Gender Equality and Legal Mobilization in the United
Kingdom: Using Rights for Lobbying, Litigation, Defense, and Attack », dans Canadian
Journal of Law and Society, 28, 2, 2013, p. 69-188 ; Thierry DELESSERT, Catherine DESCHAMPS
et Sibylla MAYER, « Circulations », dans Genre, sexualité & société, 15, 2016, URL :
.
8. À cet égard, Johanna Siméant disait regretter « l'indifférence au champ régional d'une grande
partie de l'activité transnationale » (Johanna SIMÉANT, « Transnationalisation /
internationalisation », dans Olivier FILLIEULE, Lilian MATHIEU et Cécile PÉCHU (éd.)
Dictionnaire des mouvements sociaux, Presses de Sciences Po, Paris, 2009, p. 559).
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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