Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 120

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
l'OUA adopte une résolution 26
chargeant la CADHP de rédiger un protocole
additionnel à la Charte africaine qui détaillerait les droits humains des femmes
du continent. À l'issue des deux longues sessions par lesdits « experts
gouvernementaux » tenues à Addis-Abeba, le projet est soumis aux ministres des
Affaires étrangères pour examen, puis transmis au sommet des chefs d'État et de
gouvernement de l'OUA/UA. Malgré les divergences, les chefs d'État et de
gouvernement l'adoptent en juillet 2003. Le 25 novembre 2005, ce protocole
entre en vigueur après sa ratification par 15 États membres de l'UA.
Que le protocole soit créé sous l'égide de la CADHP, qu'il fasse donc « partie
d'un agenda panafricaniste plus large visant à protéger le continent africain des
impositions occidentales » 27 permet de mettre en avant la dimension endogène
de ce texte, ou en d'autres termes, de « provincialiser » 28
et d'enraciner
localement des références à prétention universelles faisant l'objet d'une
promotion institutionnelle internationale. La nécessité et la justification d'un tel
protocole, dorénavant dit de Maputo, ne peut se comprendre qu'à l'aune des
contraintes, tant internes qu'externes, qui pèsent sur les acteurs et les actrices de
ce processus : dans un contexte où les discours d'égalité entre les sexes sont
stigmatisés comme étant occidentaux, celles et ceux qui les endossent pour
revendiquer leurs droits sont délégitimés, passent pour ignorants des spécificités
locales et sont donc contraints de manipuler la rhétorique de l'égalité avec
précaution. Ainsi, ce n'est pas dans la quête d'une nécessaire complémentarité
de la Charte africaine avec les déclarations et instruments juridiques adoptés au
niveau international qu'il faut chercher l'esprit qui anime la production d'un
protocole additionnel, mais plutôt dans une volonté de démarcation vis-à-vis des
ensembles normatifs déjà existants. Dans le contexte postcolonial, endogénéiser
les normes d'égalité entre les sexes par un texte régional est une façon d'échapper
aux suspicions qui font de ces normes un produit d'exportation venant de
l'Occident. L'émergence de l'idée d'un texte sur les droits des femmes à l'échelle
régionale africaine est ainsi le fruit d'appropriations des normes d'égalité entre
les sexes par des acteurs et actrices qui entendent les « africaniser » par leur
régionalisation et s'en servir pour augmenter leur capacité d'agir.
II. Le droit régional depuis 2005 : un instrument pour l'égalité
de genre ?
L'entrée en vigueur du protocole s'accompagne d'une forme de juridicisation
des inégalités de genre. Celle-ci est induite par la prolifération d'instances
régionales et sous-régionales susceptibles de statuer sur tout différend relatif à ce
protocole, notamment avec la mise en place, en 2006, de la Cour africaine des
droits de l'Homme et des peuples. Contrairement aux recommandations de la
26. Résolution AHG/Res.240 (XXXI).
27. Sylvia BAWA, « Women's Rights and Culture in Africa », op. cit., p. 102.
28. Dipesh CHAKRABARTY, Provincialiser l'Europe : la pensée postcoloniale et la différence
historique, trad. Olivier Ruchet et Nicolas Vieillescazes, Éditions Amsterdam, Paris, 2009
[2000].
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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