Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 133

LE GENRE COMME VECTEUR DE TRANSFORMATION DU DROIT
que l'inclusion du concept de genre aurait pu laisser espérer 19. Comme expliqué
par V. Oosterveld, une des principales inquiétudes réside dans le lien que la
définition établit entre le genre et le sexe biologique, faisant de nouveau émerger
une dichotomie essentialiste entre le sexe biologique et le genre social, laquelle
avait été remise en question par celles et ceux qui considèrent à la fois le sexe
biologique et le genre comme des constructions sociales 20. Le fait de corréler
spécifiquement genre et sexe biologique (masculin ou féminin) dans la définition
laisse à penser que le genre est fondé sur une réalité biologique et que seuls deux
sexes (homme et femme) pourraient être pris en compte (ce qui exclut de fait
toute discussion des identités de genre qui ne se conforment pas à cette binarité).
Cela rejoint, à une plus large échelle, une critique à l'encontre des définitions
adoptées par les organisations et institutions internationales et de leurs activités
ayant trait au genre 21. Le « genre » y fait souvent figure de synonyme de
« femmes », ce qui ne permet aucunement de remettre en cause les normes et les
conceptions des rôles genrés en vigueur. De plus, la définition soulevait un autre
problème car ce qui était ressenti par certain·es comme une exclusion de la notion
d'identité de genre ou d'orientation sexuelle rendait dès lors impossible toute
forme de poursuites judiciaires ayant trait à des harcèlements ou à des
persécutions motivées par ces identités ou orientations 22. Cette critique est
réfutée par d'autres, à l'instar de Catherine MacKinnon (l'une des principales
membres du WCJG), qui estime que même si la définition ne « fait pas
explicitement référence aux personnes gays et lesbiennes », elles n'en seront pas
moins protégées en tant qu'hommes et femmes, et que tout délit de
discrimination à leur encontre « n'est jamais autre que genré » 23.
Cependant, même si on accepte l'idée que la définition du genre incluse dans
le statut de Rome crée une ambigüité et qu'il devient par conséquent difficile de
rendre opératoire le concept dans les poursuites judiciaires, nous pouvons aussi
affirmer que cette ambiguïté est potentiellement utile et productive pour la cause
de la justice de genre. Elle pourrait en effet revêtir un rôle plus positif si nous ne
partons pas du principe que toute ambigüité sera irrémédiablement levée en
faveur de la discrimination 24, mais qu'elle pourrait en réalité, avec un peu
19. Janet HALLEY, « Rape at Rome: Feminist Interventions in the Criminalization of Sex-Related
Violence in Positive International Criminal Law », dans Michigan Journal of International Law,
30, 1, 2008, p. 1-124.
20. Hilary CHARLESWORTH et Christine CHINKIN, The Boundaries of International Law, op. cit.;
Hilary CHARLESWORTH, « Not Waving but Drowning: Gender Mainstreaming and Human
Rights in the United Nations », dans Harvard Human Rights Journal, 18, 1, 2005, p. 1-18.
21. Jane PARPART, « Exploring the Transformative Potential of Gender Mainstreaming in
International Development Institutions », dans Journal of International Development, 26, 3,
2014, p. 382-395.
22. Stephanie FARRIOR, « The Rights of Women in International Human Rights Law: Segregation,
Integration or Omission? », dans Columbia Journal of Gender and Law, 12, 3, 2003, p. 587599.
23.
Catharine A. MACKINNON, « Creating International Law: Gender as a Leading Edge », dans
Harvard Journal of Law and Gender, 36, 1, 2013, p. 105-121.
24. Rhonda COPELON, « Gender Crimes as War Crimes: Integrating Crimes against Women into
International Criminal Law », dans McGill Law Journal, 46, 1, 2000, p. 217-240.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

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