Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 141

LE GENRE COMME VECTEUR DE TRANSFORMATION DU DROIT
obstacles auxquels ils et elles font face dans leur quête de justice ne sont pas que
de simples différences liées au sexe biologique. V. Oosterveld soutient que ce
document expose véritablement une proposition d'orientation de politique
générale qui « prend en considération un grand nombre des facettes du genre, et
offre probablement aux juges et autres parties prenantes des éléments de
compréhension plus clairs, plus exhaustifs et plus nuancés quant à ce qui
constitue cette notion » 51. Cependant, cela contribuera-t-il réellement à faire
avancer la justice de genre dans les infrastructures mêmes de la CPI et, plus
largement, dans le cadre du droit pénal international ? Des signes de progrès ont
pu être observés dans les poursuites contre Dominic Ongwen, un membre de
l'Armée de résistance du Seigneur (Lord's Resistance Army - LRA), dont le
procès à la CPI s'est ouvert en décembre 2016. Ongwen a été inculpé de 70 chefs
d'accusation liés aux crimes commis en Ouganda, parmi lesquels les accusations
de crimes sexuels et de violences de genre étaient largement majoritaires. Les
chefs d'accusation contre Ongwen incluaient notamment ceux de viols, de
grossesses et de mariages forcés. C'est la première fois que de tels chefs
d'accusation étaient considérés dans une affaire portée devant la CPI. Brigid
Inder, la directrice exécutive du WIGJ, affirme que cela constitue une avancée
positive au sein du droit pénal international et qu'il est encourageant de voir le
Bureau du Procureur utiliser le texte du statut de Rome dans toute son
exhaustivité afin de « définir la nature complexe des violences liées au genre » 52.
Les arguments de l'accusation ont mis en lumière les pratiques systématiques
de la LRA consistant à enlever des jeunes filles pour qu'elles deviennent les
« femmes » des commandants de l'organisation. Ces filles et ces jeunes femmes
ont été violées ; elles ont été contraintes de s'acquitter de tâches domestiques
comme la cuisine ou le nettoyage ; elles ont été battues pour avoir refusé de le
faire, et certaines ont, à la suite de viols répétés, donné naissance à des enfants.
Cette politique a été « vigoureusement appliquée » au sein de la LRA et a
constitué, selon les arguments des procureur·es, l'une de ses « caractéristiques
déterminantes ». Ongwen lui-même avait de nombreuses épouses forcées, dont
certaines n'avaient que 10 ans. Dans leurs plaidoiries, les procureur·es n'ont pas
parlé que des crimes et des violences sexuelles, mais elles et ils ont insisté sur les
dommages subis par les femmes, qui ont été forcées à être des épouses et des
mères, ainsi que sur les impacts de ces mariages et de ces maternités forcées sur
leur statut et leur situation à long terme. Elles et i
ls ont soutenu le droit de choisir de se marier et d'établir une famille et ont
dit que ce droit était une valeur de base qui devait être protégée par le droit
international. En prenant en compte ces définitions plus larges des crimes fondés
sur le genre (et non pas seulement une définition limitée à des violences
sexuelles), le procès Ongwen a marqué des progrès importants dans la prise en
51. Valerie OOSTERVELD, « Constructive Ambiguity and the Meaning of Gender for the
International Criminal Court », op. cit., p. 573.
52. WIGJ, First ICC Trial in the Uganda Situation, The Prosecutor v. Dominic Ongwen, La Haye,
2016.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

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